2022 M12 7
Dans le monde des futures vedettes, il y a ceux qui parviennent à destination et ceux qui restent à quai, comme si l'industrie musicale était une gare ferroviaire. Ce que l'on dit peu, c'est à quel point, une fois arrivé, le chemin peut se révéler encore plus complexe et tortueux.
Lorsqu'il débarque à Paris en mars 1971, Jim Morrison a justement pour but de tourner le dos à la notoriété, aux Doors, aux tournées incessantes et à toutes ces fans qui nourrissent une obsession pour son physique. Ce physique, justement, parlons-en : alcoolique, bouffi, sujet à de sévères quintes de toux, si bien que les médecins français lui conseillent d’arrêter de boire et de fumer au plus vite, le Roi Lézard est mal en point. Il dit avoir l’intention de donner une chance à sa carrière littéraire, mais déambule dans la rue avec la résignation de ces gens qui ont fait trop d'écart pour vouloir encore s'opposer à la marche des choses. C’est ainsi, sans réelle surprise, que Jim Morrison est retrouvé mort le 3 juillet 1971 dans son appartement parisien du 17 rue Beautreillis.
Durant cette parenthèse parisienne de quatre mois, à peine entrecoupée par un court séjour au Maroc et en Espagne, peu de locaux savent qu’il est le leader des Doors, une rockstar américaine. Jim Morrison erre en toute discrétion, ne parle pas du tout français, se pense trop vieux pour le rock, discute avec peu de nouvelles personnes et traîne essentiellement avec celles et ceux qu’il a déjà rencontré aux États-Unis, comme Jacques Demy et Agnès Varda. Entre deux soirées au Rock'n' Roll Circus et une brève séance de studio aux côtés d’un groupe nommé Clinic, où il reprend Crawlin King Snake de John Lee Hooker, il chine chez les bouquinistes des quais de Seine, lit sur un banc, place des Vosges, et noue une sincère amitié avec un journaliste émérite de la presse rock française : Hervé Muller.
C’est à cette plume, officiant à l'époque chez Best, Actuel ou Rock & Folk, que l'on doit Jim Morrison : derniers jours à Paris, un récit intime publié aux éditions Le mot et le reste, ainsi que les nombreuses photos, intimes, touchantes, qui illustrent l’ouvrage.
En à peine 144 pages, le journaliste parisien, décédé en 2021, dévoile ainsi un autre visage de Jim Morrison, moins rockstar incontrôlable, plus doux, plus tourmenté, arpentant les rues dans l'espoir d'une nouvelle vie, littéraire, sobre et romantique : rappelons que son arrivée à Paris est également motivée par la présence de sa petite amie, Pamela Courson, rencontrée trois ans plus tôt dans un club de Los Angeles.
C’est aux côtés de son « double cosmique », avec qui il mène une relation aussi libre que chaotique, qu’il effectue ce séjour au Maroc, remplit ses cahiers jaunes à spirales et s’abreuve de films. Dans la nuit du 2 juillet 1971, la veille de sa disparition, les deux amoureux achètent même deux places de cinéma pour La vallée de la peur de Raoul Walsh.
Lors de ses funérailles, le 7 juillet, ils sont peu nombreux à être présents. Cinq, tout au plus. L'idée est alors d'éviter tout débordement, mais aussi de respecter la vie souhaitée par Jim Morrison lors de ses derniers mois parisiens, loin du tumulte. Mission réussie ? Pour un temps, seulement. Rapidement, sa tombe au Père-Lachaise devient un lieu de pèlerinage, où son ex-femme vient poser des coquilles St-Jacques, où certains forniquent, où des milliers de fans, malgré les abus, les controverses et le poids du temps, continuent se rendre régulièrement, fidèles. À l’image de ces moules qui restent bien rivées à la coque d’un bateau qui coule.
Jim Morrison : derniers jours à Paris est disponible sur le site des éditions Le mot et le reste.