Spotify propose de booster les titres de jeunes artistes... en échange de moins d'argent

Depuis novembre, Spotify teste le mode Discovery. Le deal est simple : la plateforme propose de mettre en avant certains titres choisis par un artiste et son label, en échange d’une baisse de royalties. Une proposition maladroite, alors que la colère des musiciens mal payés par le streaming monte partout dans le monde. Même le Congrès américain a récemment exprimé ses doutes.
  • Le 28 octobre, l’Union Of Musicians Around The World (UMAW) lançait la pétition Justice At Spotify. Elle contient de nombreuses demandes, en particulier une hausse des droits de streaming jusqu’à 1 centime par écoute, ou bien plus de transparence sur le versement de ces droits. La pétition est encore en ligne, avec près de 30 000 signataires, dont 660 artistes tels King Gizzard & The Lizard Wizard, DIIV, Deerhoof ou Ezra Furman. Justice At Spotify est devenu un véritable mouvement, avec une manifestation organisée le 15 mars dernier dans 31 villes du monde entier.

    Le 2 novembre, Spotify annonçait son Discovery Mode, proposant de booster un titre sur la plateforme. L’artiste et le label n’ont rien à payer pour cela, mais « à la place, les ayant droits accepteront de percevoir des royalties à un taux promotionnel ». Autrement dit, un taux réduit, bien qu’on ignore encore le montant exact. On peut admirer le sens du timing. Mais l’entreprise suédoise affirme que cette nouvelle fonctionnalité peut être une chance. Pour eux, cela peut permettre de refaire vivre un titre bien après sa date de sortie. Le mode est toujours en cours d'expérimentation auprès de certains artistes des États-Unis.

    Plus exactement, ce mode ne fonctionne qu’avec les modes Radio et Autoplay de Spotify. Lorsqu’un ou plusieurs morceaux sont ajoutés à ce Discovery, cela ajoute un signal parmi les dizaines employés par les algorithmes. Ainsi, Spotify « ne garantit pas le placement » systématique des titres choisis. Mais les artistes peuvent choisir d’interrompre ce mode à tout moment, s’ils ne sont pas satisfaits. L’entreprise reste cependant confiante : « Si un morceau marche bien, les ayants droits pourront avoir un retour sur investissement » déclare Charleton Lamb, responsable marketing, au site MusicAlly. Pour lui, le boost du titre lui permettra de rapporter plus qu’il n’aurait fait naturellement, malgré le taux réduit.

    Ces arguments n’ont pas vraiment convaincu les artistes. Plus encore : le Congrès des États-Unis a exprimé ses doutes, dans une lettre datée du 2 juin, adressée au PDG de Spotify Daniel Ek. Les représentants Jerry Nadler et Hank Johnson Jr. Craignent notamment « un nivellement par le bas, où artistes et labels se sentiront contraints d’accepter une baisse de royalties pour émerger d’un environnement musical encombré et compétitif ». Ils doutent de l’efficacité d’un tel programme : s’il est vraiment efficace, tout le monde y recourrait, et son effet positif serait annulé. Ne resterait qu’une baisse de royalties. La lettre se conclut sur cinq questions afin d’éclaircir ces doutes, avec une réponse exigée d’ici le 16 juin.

    L’UMAW a applaudi cette lettre dans un communiqué, et poursuit son mouvement Justice At Spotify. Dans la foulée, elle partageait une étude de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), une agence spécialisée de l’ONU, publiée le 1er juin. Celle ci pointe notamment l’inégalité très forte dans la rémunération du streaming, au détriment des artistes, ainsi qu’une baisse progressive du taux de royalties par écoute au fil des ans. Pour Spotify, le taux serait ainsi passé de 0,005 dollars par écoute à 0,003 dollars depuis 2018. Pour les auteurs de l’étude, il faudrait créer une nouvelle rémunération, distincte des autres, directement des plateformes aux musiciens.

    Les revendications prennent également du poids en Angleterre. Le 20 avril dernier, 156 artistes signaient une lettre ouverte à Boris Johnson, demandant une régulation des droits du streaming. Parmi les signataires, on trouve Paul McCartney, Kate Bush, Damon Albarn, ou bien Robert Plant et Jimmy Page. « Nous devons replacer la valeur de la musique au bon endroit : dans les mains des musiciens » clame la lettre. La principale revendication est l’instauration d’un taux unique et équitable de royalties versés. Et cela doit passer par une régulation assurée par le gouvernement britannique. Le 7 juin, de nombreux autres artistes ont ajouté leur signature, dont les Rolling Stones, Tom Jones, les Pet Shop Boys, Jarvis Cocker ou Chrissie Hynde. Il faut rappeler qu’en mars, le Parlement britannique avait organisé un débat sur ce sujet, qui doit donner lieu à un rapport.

    Du côté français, les revendications ne sont pas encore aussi structurées. Néanmoins, le 6 avril dernier, un communiqué co-signé par le Syndicat des Musiques Actuelles, la Fédération des Labels Indépendants et l’association Technopol appelait à une même régulation du streaming. Les trois organismes militent pour la mise en place du modèle centré sur l’utilisateur, ainsi qu’une surveillance accrue sur l’achat d’écoutes, afin de gonfler artificiellement ses chiffres. Ne reste plus qu’à espérer que Spotify ne fasse plus la sourde oreille.