2021 M02 25
Alain Goraguer
En 1957, Serge Gainsbourg a beau avoir déjà un ou deux succès sous le coude, il a encore l'allure d'un jeune premier. Alain Goraguer, lui, a déjà pas mal bourlingué aux côtés de Boris Vian, que Gainsbourg admire. Les affinités sont toutes trouvées. Dès 1958, l'auteur du Poinçonneur des Lilas invite ainsi l'arrangeur-orchestrateur à venir diriger l'enregistrement de « Du chant à la une ! », son premier véritable album. D'autres disques suivront, notamment « Gainsbourg Percussions » en 1964. Avec, à chaque fois, cette science de la note jazzy qui fait la force de titres tels que La chanson de Prévert ou L'Eau à la bouche, dont Goraguer détaillait la création à Télérama :
« C’était un musicien de cœur, d’instinct. Grâce à son père, sa jeunesse avait baigné dans Chopin et Brahms. Il n’avait pas de grandes connaissances harmoniques et n’était pas forcément un très bon pianiste mais il avait pour lui une grande qualité : le goût. Un sens du raffinement, un vrai sens mélodique aussi… On a donc co-composé la musique de L’Eau à la bouche, chanson comprise. Mais comme la commande avait été passée à Serge, on s’est mis d’accord sur la solution suivante : au générique, sur un carton seul “Musique de Serge Gainsbourg” ; sur un second carton “Arrangements et direction musicale : Alain Goraguer”. C’était tellement important pour lui, pour sa jeune carrière. »
Elek Bacsik
Jamais réfractaire à l'idée de piller l'œuvre des autres (écoutez New York-USA et Marabout pour comprendre ce qu'il doit aux morceaux du Nigérian Babatunde Olatunji, Akiwowo et Jin-Go-La-Ba), Gainsbourg doit surtout une part de son joyeux larcin à la guitare d’Elek Bacsik, celle qui amène un rythme chaloupé à ses chansons au mitan des années 1960, celle qui lui permet de faire dérayer son écriture, jusqu'ici littéraire. Aux côtés du jazzman hongrois (proche collaborateur de Barbara, Juliette Gréco, Jeanne Moreau, Claude Nougaro), Gainsbourg cesse donc d'être « confidentiel ».
On apprécie son écriture minimaliste, sa diction si particulière, ses anglicismes, ses mots répétés à l'envi et les différents morceaux qui naissent de cette association : Elaeudanla Téïtéïa, La Saison des pluies, La Fille au rasoir, Maxim’s ou encore Chez les yé-yé. En une année à peine, de 1963 à 1964, Elek Bacsik et lui viennent ainsi de définir une nouvelle pop, loin des yé-yés et de ces « énergumènes électrifiés », mais très nettement connectés avec une certaine idée de la perfection.
Michel Colombier
Depuis ses débuts à l’aube des années soixante, Michel Colombier est plus habitué à opérer dans l’ombre qu’à faire l’objet de toutes les attentions. Les flashs, les prestations télévisuelles et les Unes de magazine, très peu pour lui. Ce collaborateur de Pierre Henry (Messe pour le temps présent en 1967), du déjanté Evariste, de Barbara (L’Aigle noir) et de quelques réalisateurs français (Bertrand Blier, Claude Chabrol, Jean-Pierre Melville, Jacques Demy) préfère confronter la pop et la chanson française à d’élégantes architectures sonores, où se croisent le jazz et le rock progressif, des structures synthétiques et des symphonies efficaces.
Ce goût pour les audaces stylistiques, on le retrouve avec joie au sein de la collaboration entamée en 1964 auprès d’un Gainsbourg alors en pleine ascension. Le public découvre ainsi un artiste nettement plus connecté au rock américain (Harley Davidson, Bonnie and Clyde), aux orchestrations anglo-saxonnes (Requiem pour un con) ou encore aux musiques des films. « Anna », notamment, dont la BO publiée en 1967 est ponctuée par le mythique Sous le soleil exactement, tellement chargée en tension sexuelle qu'il rappelle que 1969 n'est pas la seule année à pouvoir être qualifiée d'« érotique ».
Arthur Greenslade
Impossible d'évoquer l'amour de Gainsbourg pour la pop anglo-saxonne sans mentionner Arthur Greenslade : celui qui, aux côtés d'Alan Parker et Alan Hawkshaw, va permettre au Français de jouir d'un véritable mythe outre-Manche. On tient pour preuve Qui est in, qui est out, Comic Strip, Initials B.B. ou encore Je T'Aime ... Moi Non Plus : quatre titres parmi d'autres en phase le Swinging London, richement orchestrés et parfaitement adaptés aux désiratas d'un Gainsbourg toujours plus passionné pour les guitares qui cognent, les orgues et les choristes féminines en arrière-fond au moment où surgit le refrain.
Jean-Claude Vannier
L’histoire débute en 1969, le temps d’une BO réalisée à Londres pour Paris n’existe pas, un film de Robert Benayoun. L’alchimie est telle que Gainsbourg n’hésite pas une seconde à confier son grand projet à son nouvel ami. On est alors en 1971, et Vannier compose et arrange une grande partie du mythique « Histoire de Melody Nelson » : un disque qui, à coup sûr, n’aurait pas été le même sans le savoir-faire orchestral du musicien français, qui ira jusqu’à reprendre sur scène certains de ces sept morceaux, là où Gainsbourg préféra éviter de les interpréter une fois en concert. La suite ? Ce sont d’autres BO d’une classe folle, avant que Jean-Claude Vannier, en 1973, commence à prendre ses distances d’un point de vue artistique.
Photo Une : Pierre Terrasson pour la couverture du livre Gainsbourg Gainsbarre par Pierre Terrasson et Alain Wodrascka.