Link Wray, grand-père de tous les hard rockeurs ?

Plus qu’un pionnier, Link Wray aura été un précurseur. Dès les années 50, il devient le premier Amérindien à obtenir un hit rock. Surtout, il inventera un son rugueux posant les bases du punk et du hard rock. Sans oublier, au passage, de se réinventer lui-même.
  • On dit de certains artistes méconnus qu’ils sont « les musiciens préférés de ton musicien préféré ». Sans doute faudrait-il aller plus loin pour Link Wray, et en faire « le musicien préféré du musicien préféré de ton musicien préféré ». Iggy Pop, Bob Dylan, Dan Auerbach, Pete Townshend, Jimmy Page, Mark E. Smith, PJ Harvey… Tous lui ont rendu hommage à maintes reprises.

    On parle même de lui comme d’un « chaînon manquant » dans l’évolution du rock du blues vers des sons plus modernes. En outre, il souffre d’un autre syndrome répandu chez les artistes de sa trempe : la tendance à être réduit à un seul titre phare. Pour son comparse Dick Dale, c’est l’omniprésent Misirlou. Pour Wray, c’est Rumble, immortalisé par Quentin Tarantino dans Pulp Fiction. Le reste mérite pourtant qu’on s’y intéresse.

    Il revient de loin. Né Fred Lincoln Wray en 1929 au Sud des États-Unis, il grandit comme fils d’une mère amérindienne, entouré par le Klu Klux Klan. Pauvre et discriminé, il se réfugie dans la guitare. Pour ne rien arranger, la rougeole lui abîme la vue et l’oreille (certains y attribuent sa propension à jouer très fort). Surtout, il se retrouve enrôlé dans la guerre de Corée entre 1950 et 1953. Il y attrape une tuberculose qui lui coûte un poumon. Son médecin lui déconseille ainsi fortement le chant. Qu’importe, Wray sera instrumentiste. Avec ses deux frères, il monte un groupe de country dès 1954, évoluant peu à peu vers un style blues.

    La bascule s’opère en 1957, durant un concert dans la ville de Frederickson. Le gérant lui demande un morceau propice à danser le Stroll, très en vogue à ce moment. Sauf que Wray ne connaît pas les accords, et ses limitations techniques le poussent à improviser. En découlent les fameux trois accords de Rumble, joués en power chord, soit un accord constitué uniquement d’une note et sa quinte. Combinés à un micro placé trop près de l’ampli, ils séduisent immédiatement le public. Pour reproduire ce son distordu en studio, le guitariste va percer son haut-parleur avec un stylo. Deux gestes qui condensent tout l’héritage de Wray : le power chord deviendra par la suite fondamental dans le punk et le hard rock. Et il va contribuer à populariser la distorsion, la fuzz ou les larsens dans ses œuvres suivantes. Bref, il anticipe déjà toutes les évolutions les plus agressives du rock.

    Pourtant, le morceau est d’abord refusé par plusieurs labels. Seul le patron du label Cadence accepte, face à l’enthousiasme de sa fille adolescente. C’est elle qui inspire le nom « Rumble », le morceau lui évoquant les bagarres de « West Side Story ». Le titre est un succès, malgré une faible couverture radio. Il réussit en effet l’exploit d’être interdit dans plusieurs villes malgré son absence de paroles. Son simple titre, et son tempo menaçant, suffisent à inquiéter une Amérique en proie aux violences chez les jeunes.

    D’autres succès mineurs suivent, comme Raw Hide en 1959. Mais épuisé par l’industrie musicale et ses injonctions, Wray jette l’éponge en 1965. Il ne fait son retour qu’en 1971, avec un album sans titre, enregistré dans un studio bricolé. Sincère et plus apaisé, le guitariste s’y livre tout entier, mettant en avant ses racines amérindiennes, et sa voix. Beaucoup considèrent le disque comme son chef d’œuvre, bien qu’il soit passé inaperçu à l’époque. Wray va alors poursuivre sa carrière loin des regards, jouant avec de nombreux musiciens, dont Alain Bashung en 1994, sur l’album « Chatterton ». En 1981, il s’installe au Danemark avec sa nouvelle épouse, Olive Poulsen. Il y finit ses jours en 2005, après avoir continué de sortir des albums blues et country toujours aussi énergiques.

    Outre son apport au jeu de guitare rock, on retient aussi son rôle dans la reconnaissance des Amérindiens. En plus de leur dédier plusieurs morceaux (Shawnee, Apache ou Comanche), il est également au cœur du documentaire Rumble ! Le rock des Indiens d'Amérique. Sorti en 2017, il s’intéresse aux musiciens amérindiens qui ont façonné la musique américaine, comme Jimi Hendrix, Robbie Robertson de The Band ou même Taboo de Black Eyed Peas. Et tous doivent quelque chose à Link Wray.

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