2021 M01 7
Prendre le nom d’un collectif de graphisme anglais réputé pour ses pochettes (Pink Floyd, Black Sabbath, Led Zep, etc.) pour une société qui rachète les droits des chansons des vieilles gloires du rock, fallait oser. Merck Mercuriadis l’a fait. Cet ancien manager (Beyoncé, Morrissey, Elton John, etc.) adulé par Kanye West a fondé Hipgnosis Songs Fund en 2018 à Londres, même s’il penche sur l’idée depuis 2006.
En l’espace de deux ans, la société capitalise déjà 60 000 chansons, soit 1,2 milliard de livres de catalogues de droits d’auteur. Hipgnosis est cotée en Bourse et fait partie des 250 plus grandes valeurs de la Bourse de Londres. Bref, une success story à l’américaine, en quelque sorte, et une croissance fulgurante qui rappelle celle des startups. Mais que fait cette société, exactement ?
Donc, si on résume, en l'espace de quelque jours, Hipgnosis a acquis 1. "les royalties du catalogue de production" de Jimmy Iovine 2. l'intégralité des droits publishing de Lindsay Buckingham 3. 50% du répertoire de Neil Young... 💵💵💵https://t.co/WVBeRxLVMe
— Claire (@RocketPichon) January 6, 2021
Hipgnosis fonctionne comme un éditeur. La société rachète la musique des musiciens, plus précisément les droits d’édition de leurs chansons. L’auteur et la société sont ensuite liés par un contrat par lequel l’auteur-compositeur accorde à l’éditeur la propriété et le contrôle des œuvres musicales faisant l’objet de droits d’auteur en échange d’un pourcentage des revenus découlant de l’exploitation de ces œuvres musicales. C’est-à-dire que quand la musique est jouée à la radio, dans un film, dans une pub ou repris par un autre artiste, l’éditeur et l’auteur vont toucher de l’argent. Une source de revenu conséquente pour de nombreux artistes connus.
Merck Mercuriadis explique aux Échos : « Aujourd'hui, les musiciens peuvent vieillir tout en continuant à séduire. Ils ont besoin de gérer leurs finances, d'autant qu'ils ne savent quand ils vont pouvoir reprendre la route des tournées pour générer du cash à cause de la crise sanitaire. Je leur propose de les aider à monétiser leurs actifs tout en les associant et respectant leurs aspirations artistiques, ce que j'ai fait pendant trente-cinq ans de carrière à leurs côtés. » En gros, Merck investit dans la musique, comme certains investiraient dans l’or ou le pétrole.
Si Hipgnosis s’attaque surtout aux vieilles stars de la musique (Mark Ronson ou encore Timbaland sont dans les rangs aussi), ce n’est pas un hasard. Elle cherche les artistes qui ont récupéré la gestion et le contrôle de leurs droits d’auteur et qui ont besoin d’un « administrateur » pour le faire à leur place. La plupart des artistes n’ont pas le contrôle de ces droits : ils sont gérés par le label (Universal Music Publishing, Sony-ATV ou Warner-Chappell par exemple) qui leur offre de l’argent au début de leur carrière. Le label récupère la gestion de ces chansons, surtout les « masters », les enregistrements d'origines des artistes, qui donnent le droit à utiliser une musique dans un film ou une publicité. C’est pourquoi Hipgnosis s’adresse directement à celles et ceux qui ne sont pas liés à un label ou à un contrat, comme l'explique le site Complex.
En deux ans, et avec son carnet d’adresses et son expérience, Merck Mercuriadis a déjà convaincu Lindsay Buckingham (Fleetwood Mac), Nile Rodgers (Chic), Chrissie Hynde (Pretenders), Dave Stewart (Eurythmics) et récemment le Canadien Neil Young, qui a vendu à Hipgnosis son catalogue de 1180 chansons. Le deal : fifty-fifty et un chèque de la société à Neil pour environ 150 millions de dollars.
Il est d’ailleurs surprenant que le mastodonte ait accepté de vendre ses droits à une société dont le job est de placer la musique dans des films ou des publicités. Ce dernier est notamment connu pour avoir dit : « Je ne chante pas pour Pepsi, je ne chante pas pour Coca, je ne chante pour personne, ne me faites pas passer pour un con. » Il y a aussi l’histoire du « Burger of Gold » (on vous laisse chercher sur le net). Les autres gros coups d’Hipgnosis ? Jimmy Iovine, le producteur de Bruce Springsteen, U2 ou encore Patti Smith ainsi que le rachat de la société Big Deal Music (My Morning Jacket, St. Vincent, Teddy Geiger).
Pour le patron, l’avantage de sa société est qu’ils ont encore peu de chansons à gérer, contrairement aux trois majors (Sony, Universal, Warner) qui en ont des dizaines de milliers. « Nous sommes 70 pour 60 000 morceaux, chacun de mes employés n'en a pas 20 000 à gérer comme chez les grands éditeurs », argumente Merck aux Échos. Ses employés auraient donc le temps de mieux s’occuper des chansons des artistes, pour la « synchro » (placer une chanson dans un film, une série ou une pub) mais aussi sur TikTok ou dans des jeux vidéo, devenus des outils marketing de poids ces derniers temps. Quoi qu’il en soit, Hipgnosis va continuer d’acheter et d’investir dans la musique. Et contrairement au pétrole, cette dernière est là pour toujours.