2018 M06 25
La République ébranlée. « On ne peut pas, la même semaine, donner des leçons de respect républicain à un ado et laisser entrer ça à l’Élysée. La culture française mérite mieux... » C’est ainsi que l’homme politique Bruno Retailleau, ancien soutien très réac de François Fillon, décrivait la prestation de ce grand noir de deux mètres. Dans la bouche de Retailleau (sic), « ça » est donc Kiddy Smile, l’insoumis à paillettes qui a eu le culot de s’opposer à la loi Asile et Immigration, et derrière elle, à toutes les lois qui séparent, non pas avec des mots, mais avec des actes.
Et un T-Shirt. Alors qu’il est invité avec Busy P et Kavinsky à faire trembler le palais républicain (déjà une première fois en soi), lui se défend de toute récupération et envoie le plus beau des bras d’honneur en portant un T-Shirt qui résume parfaitement son parcours. Le côté droit de la France tremble et crie au scandale, le reste se met en marche vers la piste de danse.
Sortir du ghetto. Au départ, Kiddy Smile est Pierre Hache (oui c’est sûr, ça fait moins rêver), un enfant d’origine camerounaise (voici pour le côté « fils d’immigré ») qui a grandi dans une cité de Rambouillet, en Île-de-France, où il vivra comme dans une poupée russe, dans un double ghetto. Avec ses origines et ses préférences sexuelles et artistiques, il détonne dans son quartier. « Tout ce qui renvoie au féminin est synonyme de faiblesse, confiera-t-il plus tard aux Inrocks, et pourtant, il y a une sexualité gay en banlieue, elle est cachée. » Les révélateurs pour Pierre ? La danse hip-hop, les disques de Diana Ross et l’album du 113 produit par DJ Medhi, « Les princes de la ville ». Ce qu’il va finalement devenir.
Menaces de mort. Son premier titre, Get Myself Alone, publié en 2013, ne plait déjà pas à tout le monde. C’est que Kiddy Smile, et il le sait, dérange. Rebelote trois ans plus tard à la sortie de Let a Bitch Know. Son discours pro queer, pro fête, pro libération des esprits a du mal à passer dans cette France secouée par le mouvement anti mariage pour tous. Kiddy reçoit quelques menaces de mort, heureusement non suivies. Entre temps, le gamin ressuscite l’esprit du Voguing en France et se fait repérer par les chorégraphes de George Michael (l’une de ses idoles) et Madonna. Le vingtenaire s’occupe également des playlist de la maison de mode Balmain. Ce n'est même plus un ascenseur social : c’est un trampoline.
Highjacking. Comme d’autres artistes, majoritairement anglo-saxons (voir playlist), Kiddy Smile prône un sens de la fête oublié, mais pas que. Fan de Todd Terry, de house 90’s et conscient qu’il est devenu un symbole de la lutte contre l’homophobie, il refuse néanmoins de se laisser instrumentaliser, casse le contrat signé avec une maison de disques au prétexte qu’il n’a pas envie de devenir un mariole LGBT, puis publie voilà quelques semaines le génial clip de Dickmatized qui devrait donner des insomnies aux homophobes.
Quand on lui demande pourquoi avoir accepté de jouer pour le pouvoir élyséen, comme un petit pantin festif, la réponse de Smile est claire : «_ Je sais ce que représente l’Élysée en terme d’oppression et d’histoire pour la communauté LGBT ainsi que la répression des migrants, mais je crois fermement au highjacking du pouvoir en place de l’intérieur et à la création du discours là ou il n’y en a plus/pas_." Savoir faire danser et penser, l’un des atouts de Kiddy.
« Cette invitation à mixer dans la demeure temporaire de Macron se présente à moi comme une opportunité de pouvoir faire passer mes messages : moi, fils d’immigrés noir pédé, je vais pouvoir aller au cœur du système et provoquer du discours de par ma présence. » Mission accomplie. Non seulement il a su tirer son épingle du jeu lors de cette sauterie musicalement dispensable, mais son dernier titre publié quelques jours plutôt, Burn the house down, laisse supposer une préméditation géniale : oui, l’enfant de Rambouillet veut foutre le feu à toutes les maisons cloisonnées. Et comme, en plus, il apparaitra dans Climax, le prochain film de Gaspar Noé, qu’il a profondément introduit dans le monde du Voguing, on se dit qu’il a plus que jamais raison d’avoir le sourire.