Au fait, on écoutait quoi il y a un siècle, en 1921 ?

Comment était le monde d’avant ? Plus grand monde n’est là pour le raconter. Pourtant, la vie était intense, il fallait se remettre de la Grande Guerre, celle qui devait être la « der des der ». Après plusieurs années douloureuses, le monde veut retrouver le sourire. Et dans cela, la musique a joué un rôle essentiel.
  • À cette époque, en France, l’industrie musicale n’en est encore qu’à ses débuts. Seules les plus grandes vedettes ont accès à des enregistrements, et 1921 est également la date de la toute première émission de radio. La musique se fait encore avant tout sur scène. Et dans cette période d’entre deux guerres, le goût va plutôt vers des musiques légères. Ainsi, cette année est avant tout celle de Maurice Chevalier, qui accède à une notoriété immense grâce à l’opérette « Dédé », et son fameux air Dans la vie faut pas s’en faire. C’est le premier pas vers sa carrière internationale.

    C’est cette même année que son couple avec Mistinguett se brise. Cela n’empêche pas cette dernière de connaître également un grand succès dans les café-concerts, notamment avec Mon Homme, qui devient même un standard dans sa version américaine. Elle incarne le versant positif de la chanson réaliste, qui chante les tourments quotidiens du bas peuple, des ouvriers, des prostituées. Dans le versant bien plus sombre de ce registre, les reines sont Fréhel et Damia, que Gainsbourg admirait beaucoup. C’est en 1921 que la seconde se met en scène vêtue de noir, sur fond noir, un projecteur achevant de détacher son visage et ses bras nus. L’idée sera largement reprise, notamment par Juliette Greco et Barbara.

    L’entre-deux guerres, c’est aussi un moment où la musique classique veut se faire plus populaire. C’est notamment l’ambition de ce que l’écrivain Jean Cocteau appelait le Groupe des Six. Cette année, ces six compositeurs, parmi lesquels on trouve Arthur Honegger ou Darius Milhaud (un des premiers à intégrer le langage jazz dans ses œuvres), ont créé ensemble le ballet « Les mariés de la Tour Eiffel ». Ce spectacle surréaliste sera vite oublié, malgré une bonne réception au départ.

    Les plus avant-gardistes écoutaient peut-être la musique d’Arnold Schönberg, qui, en cette année 1921, abandonne la musique tonale de Mozart et Beethoven pour explorer son langage dodécaphonique, bien plus dur d’accès. Peut-être certains ont-ils également découvert Edgar Varèse, qui deviendra une des principales sources d’inspiration pour Frank Zappa, et un pionnier de l’électronique. 1921 marque alors ses débuts, avec l’oeuvre « Amériques ».

    En Amérique, justement, le jazz a déjà largement conquis le territoire. Mais du côté de la musique enregistrée, comme dans les plus grandes institutions, ce sont bien les musiciens blancs qui rencontrent le plus de succès, à l’image de l’Original Dixieland Jazz Band, de la Nouvelle-Orléans. L’adhésion du public va vers un jazz plus édulcoré, qui reste proche des chansons populaires européennes. En 1921, c’est la chanteuse Marion Harris qui incarne le mieux cette synthèse, avec ses titres Look For The Silver Lining, ou I Ain’t Got Nobody. L’autre grande vedette est le chef d’orchestre Paul Whiteman, qui dirige ce qu’il appelle du « jazz symphonique », reprenant à la sauce swing de grands airs classiques. C’est d’ailleurs lui qui, trois ans plus tard, commande à Gerschwin sa fameuse « Rhapsody In Blue ».

    Mais les choses sont en train de changer pour les musiciens afro-américains. En 1921, Broadway accueille la première pièce écrite et jouée intégralement par des musiciens afro-américains : « Shuffle Along », et son air devenu un standard, I’m Just Wild About Harry. Cette année marque aussi la naissance de Black Swan Records, premier label géré par des musiciens noirs. Les choses sont en train de changer, et l’influence gigantesque des musiques afro-américaines sur la musique populaire n’en est qu’à ses débuts.

    Un siècle plus tard, tout a changé, et pourtant : l’héritage de ces musiques est toujours présent. Les fusions entre musiques blanches et noires sont toujours aussi prolifiques, et le rap a longtemps porté les mêmes ambitions que la chanson réaliste. De là à imaginer que Maître Gims est le nouveau Maurice Chevalier, il n’y a qu’un pas, que nous laissons chacun le soin de franchir ou non. Mais surtout, reste un vertige : dans un siècle, qui se souviendra encore de ce que nous écoutons aujourd’hui ?