Entre fiestas et gueule de bois, l'histoire du label DFA de James Murphy

Certains parleront d'un coup de génie, d'autres, d'un coup vieux : le label DFA fête ses 20 ans d'existence malgré de nombreuses difficultés. Et voici comment tout a commencé en mars 2002 avec un James Murphy encore inconnu produisant le premier single de son label DFA, avec The Rapture.
  • C’est une histoire de fêtes, mais aussi de gueules de bois. Et cela fait 20 ans qu’elle dure. Le label DFA (pour Death From Above) a vu naître les premiers succès de LCD Soundsystem, mais aussi de Black Dice, Hot Chip, Holy Ghost ou Planningtorock. Sa première sortie est d’emblée frappante : House Of Jealous Lovers de The Rapture, en mars 2002. Le label entend bien fêter ça, avec une grande soirée le 26 mars à New York, nommée « 20 Years Of Bad Luck », unissant artistes historiques (The Juan McLean, Shit Robot, Black Dice) et signatures plus récentes. Un signe que, malgré des rapports humains parfois complexes, le label a tenu toutes ces années sur la même éthique.

    L’aventure démarre en réalité à la fin de l’année 2001, suite à la rencontre de Murphy et l’Anglais Tim Goldsworthy. Le premier est alors ingénieur du son, et un DJ réputé dans l’East Village de Manhattan. Le second vient d’arriver à New York, après avoir cofondé le label Mo’Wax (essentiel dans l’émergence du trip-hop) et le groupe UNKLE. Les deux sympathisent, et lancent un duo de DJ nommé Death From Above, surnom donné à Murphy. Le projet évolue par la suite vers un collectif organisant des soirées, puis vient l’idée d’un label après l’enregistrement du single de The Rapture. Les deux musiciens embarquent avec eux le manager Jon Galkin, qui s’occupe de tout le versant administratif. Mais le démarrage a pourtant mal démarré : le projet est initié le 1er septembre 2001. Les attentats dix jours plus tard les convainquent d’utiliser une version abrégée du nom...

    En 2002 sortent donc les premiers projets du label : The Rapture, The Juan McLean ou Black Dice. Mais surtout le premier single de LCD Soundsystem, Losing My Edge, qui attire immédiatement l’attention. Tous posent la basse du son signature du label : une rythmique hip-hop funk, une démesure disco, une folie psyché, mais un esprit rock nerveux. Soit, en résumé, la fusion des grands courants de New York, du Mudd Club et du Paradise Garage. L’équilibre opère particulièrement au niveau de la batterie, au son étouffé et au kick sec, sonnant à la fois électronique et live. Le succès du premier album de LCD Soundsystem en 2005 va d’une certaine manière populariser la dance music (au sens large) auprès d’un public qui y restait encore insensible. Et DFA est l’emblème de ce mouvement.

    Malgré un léger conflit juridique autour du nom Death From Above (forçant le groupe canadien du même nom à se renommer Death From Above 1979), les choses se portent bien et les tâches sont bien réparties : Goldsworthy est au sous-sol de l’immeuble de DFA, en studio ; Galkin, à l’étage, assure l’essentiel du travail administratif, mais s’occupe également de découvrir et signer les nouveaux artistes du label. Le siège à côté de lui reste souvent vide : Murphy est occupé par d’interminables tournées, et semble toujours ailleurs. Un sentiment confirmé par un documentaire réalisé en 2014 par Red Bull Academy, Too Old To Be New Too New To Be Classic (mantra du label). On y voit que DFA a choisi de rester un petit label, opérant avec très peu de personnel. Conservant les avantages et les défauts d’un projet indépendant. Ce qui n’empêche pas une productivité énorme : leur page Discogs recense pas moins de 882 entrées, avec une diversité de styles plus large qu’on ne l’imaginerait au premier abord.

    Malgré tout, des conflits humains vont entacher cette belle aventure. En 2010, Goldsworthy retourne vive en Angleterre, sans prendre la peine de prévenir ses associés. S’il se dit toujours membre du label, la distance fait qu’il n’y participe plus. Pire : en 2013, DFA l’attaque en justice en l’accusant de continuer d’utiliser le compte bancaire du label.

    Mais le conflit le plus douloureux a lieu en 2020, avec l’éviction de Jon Galkin. Du jour au lendemain, celui-ci se retrouve démis de ses fonctions, et éjecté de l’immeuble. Pour lui, la décision a été prise brutalement et sans discussion. Murphy s’en est par la suite défendu, affirmant que l’entreprise perdait énormément d’argent. Il sous-entend une mauvaise gestion de la part de son ancien ami, tout en refusant de donner des précisions. « Je devais le [renvoyer], et il sait pourquoi ; et s’il le ne sait pas, c’est parce qu’il n’a pas écouté » assène-t-il à Pitchfork. Galkin conteste cette vision, et monte son propre label, FourFour. Il récupère également de nombreux projets en cours chez DFA qu’il avait initié, dont le dernier album de Black Dice. Depuis, DFA n’a quasiment rien sorti, bien que Murphy parle d’une phase de restructuration avant un retour. Témoignant d’une envie de faire la fête toujours intacte.

    Crédit photo : Flickr Matt Biddulph.

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