Pourquoi aime-t-on autant se moquer de Céline Dion ?

En pleine promo pour le film « Aline », faux biopic de Céline Dion, la réalisatrice et interprète Valérie Lemercier précise qu’elle n’est « pas dans la moquerie ». Et si elle se sent obligée de le préciser, c’est bien parce que de nombreuses personnes raillent régulièrement la Québécoise. Et pourquoi ?
  • Il est parfois difficile d’assumer qu’on aime Céline Dion. Trop vulgaire, trop kitsch. Pourtant, la popularité de la chanteuse ne faiblit pas. Certes, ses disques ne se vendent plus dans des quantités aussi gigantesques qu’avant (elle détient encore le record de l’album francophone le plus vendu au monde pour « D’Eux », réalisé par Jean-Jacques Goldman en 1995). Aujourd’hui, elle compte plutôt sur ses classiques pour assurer des concerts énormes. Ce qui lui permet d’encore déchaîner les passions, tant chez les fans que ses détracteurs. Qui trouvent toujours des raisons de se moquer, voire de mettre du charbon dans ce qui est devenu avec le temps une usine à mèmes.

    Après tout, la raillerie est un moyen de supporter l’omniprésence d’une star. D’autant qu’avec Dion, les occasions de se moquer sont nombreuses. Sa musique, déjà, parfois lisse jusqu’à la caricature, transpire les bons sentiments. Et puis il y a les tenues extravagantes, le maniérisme scénique (qui est, certes, révélateur d’une énorme discipline personnelle) et des grimaces persistantes, volontaires ou pas d'ailleurs.

    Sans oublier, bien sûr, ses interviews. Si l'on peut imputer la miévrerie des paroles à ses paroliers, la chanteuse sait se mettre au diapason. Extrait « il faut apprendre de notre passé et essayer de changer notre futur. Et l’avenir, c’est aujourd’hui ». Ou bien « C'est le moment où vous pensez que vous ne pouvez pas, que vous pouvez », ou encore la superbe tautologie « Je me sens plus libre parce que je suis plus libre ». Mais au fond, cette absence d’aspérité n’est-elle pas exactement ce qu’on attend de Céline Dion comme, jadis, de Johnny ?

    Il ne faut pas pour autant croire que nous détestons Céline Dion. C’est même assez difficile de le faire, en raison même de cette absence totale d’ironie chez la chanteuse. Alors qu’il semble être le comble de l’artificiel, son art semble parfaitement sincère, à chaque instant. Si on peut se moquer de son discours, c’est bien parce qu’il n’est pas dans une maîtrise aseptisée. Il vient du cœur. Et si sa musique est aussi kitsch, c’est aussi parce qu’elle est dans un pur premier degré, loin de l'esprit Internet donc.

    C’est notamment ce qu’a réalisé le journaliste Carl Wilson, dans son livre Let's talk about love: pourquoi les autres ont-ils si mauvais goût, sorti en France en 2016. Lui qui voue d’abord une haine farouche à la Québecoise fait l’effort de sortir de sa position sûre de son bon goût, pour essayer de se mettre à la place des fans. Il s’en sert alors de prétexte pour une réflexion philosophique et sociologique sur le bon goût, reprenant Kant ou Kundera (!) et où Dion fait office de symbole même du kitsch.

    S’il ne se met pas pour autant à apprécier la musique de la chanteuse, le journaliste reconnaît que sa haine initiale se base sur des clichés. Et surtout sur un refus viscéral, et au fond ridicule, de toute forme de sentimentalisme. Comme s’il fallait avoir peur du bon sentiment. Il reprend notamment une citation du philosophe Robert C. Solomon : « Devons-nous forcément mettre un point d’honneur à ne jamais nourrir de pensées positives sans qu’elles ne soient accompagnées d’idées négatives ? » Quelque part, c’est presque comme si on jalousait cette absence totale de peur du ridicule, dans une posture à la limite de la misogynie.

    Cela veut-il dire que l’on arrête de se moquer de Céline Dion ? Pas vraiment. Mais on le fait avec tendresse. Car au fond, elle occupe un rôle important dans le paysage médiatique actuel : celui d’un contrepoids à l’envie de cynisme qui peut parfois tous nous guetter.