2020 M09 3
Alors que la plupart des stars de la pop s’affairent de tous les côtés et échangent volontiers sur leur vie privée, Sade demeure économe de sa parole. « Je n'aime pas les interviews, c'est comme raconter sa vie à un inconnu dans un bus », dit-elle, affichant la parcimonie et l’assurance taiseuses de celle qui sait ses interventions attendues. Et pour cause : cela fait des années que l'on annonce son retour imminent sur la scène musicale. En 2018, quelques mois après la diffusion d'un single inédit (Flow Of The Universe), un de ses musiciens déclarait même qu'elle avait écrit « beaucoup de morceaux ». Depuis, plus rien. Ou presque.
En un sens, la réédition en vinyles de ses six albums constitue donc une excellente nouvelle, l'occasion rêvée de replonger dans les entrailles d'une musique qui a toujours tourné le dos aux tendances, qui a su traverser les époques et influencer des dizaines d'artistes ces trente dernières années (Mary J. Blige, Aaliyah, FKA Twigs, etc.) malgré les absences répétées de son auteure - aucun disque publié entre 1992 et 2000, puis plus rien jusque 2010, avant de marquer une nouvelle pause dont on attend toujours la fin.
Chez Sade, la musique a toujours été là, mais comme une chose quotidienne. La chanteuse aimait écouter des disques (notamment ceux d’Aretha Franklin, Marvin Gaye, Nina Simone ou Julie London) et de plus en plus à l’adolescence, mais sans aller jusqu’à se considérer comme mélomane, et sans que cela suscite la moindre vocation - à la fin des années 1970, elle étudie la mode et rêve de devenir styliste. Il faut attendre le début de la décennie suivante, alors qu'elle vient d'entrer dans la vingtaine, pour que tout s'accélère : à Londres, elle vient de rencontrer ses futurs musiciens (Stuart Matthewman et Paul Denman, membres de Funk Pride); elle compose ses premiers morceaux et forme son propre groupe, Sade, avec lequel elle signe chez Epic. Plus rien ne sera jamais vraiment pareil.
Très vite, les singles pullulent, dont Smoth Operator, le premier à se hisser dans le Top 10 américain malgré un sujet délicat (l'histoire d'un Don Juan débonnaire et malsain), et Sade devient peu à peu l’incarnation d'un jazz-pop sophistiqué mais évident, romantique mais torturé - un peu comme si toutes ces chansons, autant chargées de notalgie que de chagrin d'amour et d'introspection, étaient celles d'une âme tourmentée en quête de stabilité.
Au sujet de son quatrième album (« Love Deluxe », paru en 1992), Sade disait : « L'amour est l'une des rares choses de luxe que l'on ne peut pas acheter ». Ce qui explique sans doute pourquoi l'Anglaise aux 50 millions d'albums vendus a chanté le sentiment amoureux comme personne, d’une voix aussi douillette qu’un édredon en plumes même quand ses chansons semblent cabossées de doute, éprises de mélancolie. Et ça, cette façon de chanter un amour peu ordinaire (No Ordinary Love), c'est précisément ce qui permet à Cherish The Day, Hang On To Your Love, The Sweetest Taboo (son plus grand succès) ou encore le suave By Your Side d'être des classiques, jamais réellement égalés.