2023 M06 19
« Cet album, c'est moi pour de vrai. Je voulais donner aux gens l'image du garçon de 9 ans qui figure sur la pochette. » Peut-être n'en a-t-il pas conscience, mais lorsqu'il fait cet aveu à The Ringer, Killer Mike confirme un ressenti, que l'on pense être universel à l'écoute de « Michael » : de Down By Law à High & Holy, les quatorze morceaux réunis ici sonnent profondément autobiographiques, indéniablement porteurs d’une ferveur créative - le genre de bouillonnement et d’idées audacieuses que l’on attend généralement du premier album d’un artiste.
À 48 ans, l’Américain n’en est pourtant pas à son premier essai : depuis 2000, année où il brille avec OutKast sur Snappin' and Trappin', avant de remporter un Grammy Award deux ans plus tard aux côtés du duo d’Atlanta (The Whole World), Michael Santiago Render (à l'état civil) enchaîne les projets de qualité. Problème : le dernier (« R.A.P. Music ») date de 2012, et l'on commençait naïvement à se dire que Run The Jewels avait peut-être pris trop de place, que ce duo formé aux côtés d'El-P l'avait peut-être éloigné de préoccupations plus intimes. C’était évidemment faux, et « Michael » en est la plus belle des démonstrations.
Pour comprendre pleinement cet album éponyme, le mieux est encore de remonter le fil de son enfance, passée à Atlanta, auprès de sa grand-mère. C'est que sa mère, fleuriste de formation, est également impliquée dans le trafic de drogues. Le mieux est donc de mettre son fils à l'abri, de le tenir à l’écart de la rue et de ces quartiers où les bleus sont plus abondants que les étreintes.
Habitué aux meetings politiques, assistant dès son cinquième anniversaire à des réunions au siège du conseil municipal, le petit Michael devient surtout un des nombreux rejetons de ce qu'il nomme « l'église noire » : celle des chorales, celle du gospel, celle qui, à l’entendre, semble avoir influencé la majorité des artistes présents sur l’album (Future, CeeLo Green, 6LACK, Young Thug, et même le bien trop rare André 3000).
S'il peut paraître paradoxal de se livrer à tant de confessions intimes sur un disque enregistré auprès d'une quinzaine d'invités (dont James Blake à la production), c'est aussi parce que Killer Mike souhaitait s'entourer de divers « ATLiens » de sa ville natale. « This shit is so Atlanta », clame-t-il, sans pour autant faire de « Michael » une simple ode à la capitale de la Georgie. L'auteur est même formel : plusieurs gros durs ont pleuré à l'écoute son album.
Il est, c'est vrai, assez désarçonnant de l'entendre parler de sa mère, de ces responsabilités que la société vous oblige à endosser trop jeunes, des affres de la célébrité, ou même de son premier amour adolescent et de la façon dont celui-ci s'est terminé après l'avortement d'un enfant non désiré. Mais si toutes ces confidences séduisent l’oreille, ce n’est pas simplement parce que « Michael » raconte à sa façon la même chose que Bob Dylan il y a soixante ans – la vie vue d’en bas, de biais, c’est aussi parce que cette recherche d’intimité impacte chaque mélodie - Something For Junkies, par exemple, est directement inspiré par Freddie's Dead, cet énième classique de Curtis Mayfield que sa mère écoutait en boucle.
Plutôt que de raconter toutes ces choses qui disent ce qu’est sa vie aujourd’hui (les tournées phénoménales de Run The Jewels, la réussie, l'argent, le copinage avec Bernie Sanders...), « Michael » est avant tout le genre de disques qui disent ce par quoi est passé un artiste pour en arriver là. Une histoire dense et mouvementée, donc, mais intelligemment mise en son par No I.D., décidemment imparable au moment de pousser les rappeurs dans leurs retranchements (la production du « 4:44 » de Jay-Z, c'est lui !).
En résulte un disque sans esbroufes, gorgé de soul et de gospel, rythmé par une production tout en nuances et porté par un rappeur qui excelle ici à évoquer qui il est vraiment. Colossal !