Oui, Atlanta a complètement bouleversé le paysage musical des années 2010

Difficile de prétendre l'inverse quand on voit Elton John faire la cour à Young Thug ou Lana Del Rey enrôler Playboi Carti le temps d’un morceau.

This is a trap. Historiquement, Atlanta a toujours été une ville à part, l'un « des centres de gravité du hip-hop », comme le suggère une célèbre expression du New York Times. Et c'est vrai qu'à intervalles plus ou moins réguliers, Atlanta a toujours fourni au rap des artistes plus nuancés, moins figés dans une esthétique – contrairement, pour schématiser grossièrement, à la Californie (la G-Funk) ou New York (le boom-bap).

Alors, forcément, Arrested Development, Goodie Mob, Organized Noize et Outkast ont fini par susciter des vocations. Pareil avec le Crunk, le Dirty South, la Snap ou la Trap, certainement le genre le plus influent des années 2010, porté par tout un tas d'artistes au je-m'en-foutisme assumé, des tubes à foison (Bad And Boujee de Migos ou Wyclef Jean de Young Thug, pour n'en citer que deux) et différents labels (Awful Records, Quality Control).

Capitale du rap. À l’heure où l’on tire le rideau sur la décennie, difficile d'ignorer à quel point Young Thug, 21 Savage, Gucci Mane, Future ou Migos ont défini la façon dont la musique sonne aujourd'hui. Le beat est saccadé, les mélodies sont plus minimales, le propos plus débridé, tandis que les frontières musicales se floutent peu à peu, notamment grâce à des producteurs (Metro Boomin, Zaytoven, entre autres) qui orchestrent cette révolution sonore dans l’ombre.

Ces dernières années, on a ainsi pu voir Katy Perry faire appel à Migos, Miley Cyrus travailler avec Mike WiLL Made It, Metro Boomin produire des morceaux sur le dernier album de James Blake, Gucci Mane tourner une campagne pour Gucci (réalisée par Harmony Korine) ou encore Migos composer le jingle d'une publicité pour Rap Snacks. En clair, tout se passe comme si le son made in Atlanta avait imprégné la culture populaire, comme si tout le monde venait désormais y piocher un peu d’inspiration. Et ça ne se limite pas qu'au rap : avec ses délires futuristes et son ambition afrocentrée, Janelle Monáe a elle aussi incarné une forme de liberté.

La Mecque noire. Dans une ville noire à 67% (tandis que sa périphérie est majoritairement blanche), marquée par la pauvreté et véritable plaque tournante du trafic de drogue en Amérique, il faudrait être naïf pour imaginer Atlanta comme un paradis sur Terre – pas pour rien, d’ailleurs, que les rappeurs se mobilisent. Tandis que 2 Chainz a créé un centre de dépistage, 21 Savage a mené plusieurs opérations caritatives pour aider les enfants défavorisés.

Reste que la ville fait des envieux, et qu’elle semble accueillir chaque semaine de nouveaux rappeurs prêts à prendre la relève et à faire de leurs morceaux, majoritairement composés en (strip) club, des singles suffisamment sophistiqués et évidents pour atteindre le sommet des charts. Car oui : Gunna, Lil Baby, Lil Nas X, Playboi Carti ou Kodie Shane sont avant tout des faiseurs de tubes, des mecs qui ont compris mieux que quiconque l'ère du streaming (avec des titres assez courts, très répétitifs et bourrés de gimmicks), et qui semblent avancer sans se soucier des compromis ou d'une quelconque tradition. C’est du moins ce que prétend Euro Gotit dans une interview à Dazed : « Nous cherchons davantage à nous construire en tant qu'artistes qu'à essayer de perpétuer un héritage. » Au moins, c'est dit.