2019 M11 1
Il y a trois ans, tu disais vouloir arrêter la musique. Dans ce cas, pourquoi ce nouvel album ?
Pendant un moment, je trouvais que c’était compliqué de faire un album, de trouver quel titre pourrait servir de single, etc. Ça a fini par m’épuiser, je me disais que ce milieu n’était peut-être pas pour moi. Bref, j’ai toujours été très critique envers moi-même, et c’est vrai qu’à force de m’entendre et de me voir en photos, je commençais à en avoir assez. Puis, tout est revenu, l’envie comme l’inspiration.
L’enregistrement de « Kiwanuka » a donc été plus facile que prévu ?
Disons que j’avançais selon l’inspiration. L’enregistrement a donc été pas mal saccadé, avec notamment différentes sessions à Londres, New York et Los Angeles. J’avais besoin d’une nouvelle énergie, et le fait d’enregistrer dans trois villes et trois studios différents, ça m’a aidé. Los Angeles, par exemple : c’est loin d’être ma ville préférée, l’ambiance est quand même très étrange là-bas avec tous ces gens en voiture en permanence, mais c’est un lieu étonnement cool pour prendre du recul et créer.
Le titre de l’album, « Kiwanuka » est-il une façon de dire que c’est ton album le plus introspectif ? Ou juste une manière de revendiquer tes origines ougandaises ?
Historiquement, beaucoup d’artistes ont pris un pseudo pour faciliter leur succès à l’international ou autre. Moi, je n’ai jamais voulu faire ça. On a bien évidemment tenté de m’en convaincre, on a souvent mal prononcé mon nom, mais je ne peux pas nier mes racines africaines. Là, c’est une façon de dire que je suis fier de qui je suis, de revendiquer mes origines.
C’est aussi pour ça que j’entame ce disque avec un titre nommé You Ain’t The Problem : j’ai pensé ce morceau comme un mantra, un moyen pour moi de dire que mes origines, mon nom ou ma couleur de peau ne sont pas un problème. Je peux être qui je veux, n’en déplaise à une industrie qui, à mes débuts, aurait préféré que je fasse du R'n'B ou du hip-hop sous-prétexte que je suis noir.
Ce type de discrimination, c’est quelque chose que tu as toujours connu ?
Pas forcément, mais c'est vrai que tous mes potes d'école étaient des Blancs de classe moyenne. Mais attention, je ne m'en plains pas : c'est même le fait de les voir avoir des instruments pour leur anniversaire qui m'a donné envie de composer à mon tour. À force d'insistance, j'ai même réussi à convaincre mes parents de me laisser aller à la Royal Academy Of Music. Bon, je ne suis pas allé au bout du cursus, mais j'avais trouvé ma vocation.
En quoi est-ce important pour toi de sortir un album en 2019 ? Vu l’époque, tu pourrais très bien te contenter de publier des singles au compte-gouttes, voire un simple EP accompagné de quelques clips...
J’adore les albums, écouter un vinyle de bout en bout. Selon moi, c’est ce qui permet d’aller en profondeur, de creuser un univers, ce qui est plus compliqué avec un simple single. Ce format, c’est ce qui me stimule, ce qui me permet de développer une histoire, différentes scènes. J’aime regarder des films et des séries pour trouver l’inspiration, et je pense que ça me plaît de développer mon propre univers à mon tour.
Puisqu’on parle de série : la présence de Cold Little Heart au générique de Big Little Lies, ça t’a ouvert quelques portes aux États-Unis, non ?
C’est vrai que, pendant longtemps, j’étais beaucoup plus reconnu en Europe qu’en Amérique. Mais cette chanson a tout changé pour moi. Pour te donner un exemple : avant la série, on avait fait une petite tournée là-bas et on n’arrivait pas à remplir les salles. Après le succès de la première saison, on faisait sold out partout.
Mais ce qui est encore plus fou, c'est que je ne savais pas que cette chanson allait être utilisée pour le générique. Quand on m'a appelé, je pensais que ça allait servir à illustrer une scène, ça a donc été une énorme surprise pour moi de découvrir que ce morceau, l'un de mes plus ambitieux selon moi, bénéficiait d'une telle visibilité.
En gros, ça t’a rapporté suffisamment d’argent pour enregistrer un disque aussi orchestré et coûteux que « Kiwanuka » ?
Aha ! C’est vrai que de telles orchestrations, ça a un prix. Mais j’aime tellement ce genre de sonorités, ça me rappelle les disques d’artistes comme Bill Withers. J’avais envie de ces extravagances stylistiques, je voulais me prouver que je pouvais y arriver, que je pouvais sortir un peu de ma zone de confort. Musicalement, bien sûr. Mais aussi d’un point de vue des paroles : c'est la première fois que certains de mes morceaux, comme Hero, qui est inspiré de la vie de l'ancien Black Panthers Fred Hampton, ont des inclinaisons aussi ouvertement politiques.