Melody's Echo Chamber : "Avec ma musique, je m'échappe dans des paysages qui n’existent pas"

Toujours aussi rare, la Française a fait de chaque sortie d'album un mini-évènement pour tout amateurs de pop rêveuse. Quatre ans après « Bon voyage », l’ex-collaboratrice de Kevin Parker comble cette attente de la meilleure des façons avec « Emotional Eternal », un troisième disque dont elle raconte ici les coulisses.
  • Quatre ans séparent « Emotional Eternal » de « Bon Voyage ». Cette absence, c’est à cause du Covid ou c’est une réelle liberté que tu t’accordes au sein d’une époque où tout va trop vite ?

    J’aime bien l’image véhiculée par la deuxième option…. Pour tout dire, j’ai surtout eu besoin de silence. Ces quatre dernières années, il y a eu de longs moments où je n’ai pas su relâcher ma créativité, où je ne parvenais plus à écouter de la musique, si ce n’est de l’ambient, de la musique méditative ou des groupes comme Sigur Rós, qui définissent avant tout des paysages sonores. Je suis une personne très lente, donc j’essaye de respecter mon rythme, de m’écouter, de me débarrasser de cet égo qui pourrait m’inciter à rester constamment sur le devant de la scène. Aussi, je suis devenue mère entretemps : ça a fatalement influencé cette mise en retrait.

    Au moment où tu t’es sentie enfin prête, as-tu ressenti la peur de ne plus être attendue, d’appartenir en quelque sorte à une autre époque ?

    Il y a forcément un peu d’angoisse, mais j’essaye de me détacher du désir de l’autre pour n’écouter que mes envies, comme je peux l’étudier en ce moment en psychologie. L’essentiel, ce n’est pas d'être attendue ou non, c’est le processus créatif. Tout le reste n’est finalement qu’une succession d’informations polluantes.

    Tu as repris des études en psychologie ?

    Je passe actuellement mes diplômes d’art-thérapeute au sein d’une école où l’on a pas mal de cours sur Freud ou Lacan. On étudie également des artistes comme Louise Bourgeois ou des poètes. Mais le plus intéressant, c’est surtout de pouvoir intervenir en maison de retraite, où j’expérimente la musicothérapie auprès de personnes âgées. Personnellement, je trouve ça super intéressant de voir les bénéfices de la créativité, mais aussi de s’enraciner dans une vie plus ordinaire. Ça me fait du bien d’être dans la réalité, et pas simplement dans l’extraordinaire d’une vie passée en tournée, où l’on reçoit beaucoup d’amour mais où l’on est également souvent seule.

    C’est par crainte de la solitude que tu enregistres toujours tes albums auprès de différents musiciens ? Sachant que tu es multi-instrumentiste, on pourrait très bien imaginer que tu réaliser tes disques seule, non ?

    Mon problème, c’est que je fais beaucoup de morceaux et que j’ai tendance à les effacer systématiquement. Je recommence sans arrêt à zéro. Le fait d’être aux côtés de Reine Fiske et Fredrik Swahn est donc une manière de partager des sensibilités communes, d’échanger les rôles en fonction des morceaux, de se connecter à d’autres visions. Si ce partage n’existait pas, je m’ennuierais. Surtout, je ne pourrais pas aller où j’ai envie d’aller musicalement, ne serait-ce que techniquement ou du point de vue de l’informatique - un outil que je maitrise mal.

    Une fois de plus l'album a été partiellement enregistré à Stockholm. Tu n'as jamais eu envie d'y installer ? 

    J’y ai habité un an pendant l’enregistrement de « Bon voyage ». Ça m’a beaucoup plu, ne serait-ce que parce que je suis attirée par les peuples du Nord, que je trouve en avance sur la France en termes de qualités humaines ou de respect. Aussi, j’aime les grands espaces. C'est pourquoi la Suède et l’Australie ont été de grandes sources d’inspiration pour moi, des échappées belles avec ces paysages majestueux et épiques. Mais la vie a fini par me ramener dans les Alpes-de-Haute-Provence, pas loin de là où je suis née. Il faut croire que mes racines me manquaient.

    « C’est un disque qui traite de choses d’adultes avec une volonté de voir le monde à travers les yeux d’un enfant. »

    Tu disais que « Bon Voyage » était très maximaliste. Je n’ai pourtant pas l’impression que ce nouvel album, quoique moins dense, soit plus dans la retenue…

    J’y travaille, mais c’est vrai que « Emotional Eternal » est encore très chargé. Beaucoup en parlent comme de la musique baroque, mais ce terme ne me plaît pas vraiment. Au contraire, je dirais que ma musique est plus simple que par le passé, elle est d'ailleurs composée avec un matériel rudimentaire (un vieil ordinateur de 2013, un clavier MIDI et Ableton Live), dans une volonté d'être plus directe, plus ancrée dans la réalité et moins déstructurée. J’ai l’impression qu’on ressent très vite les mélodies.

    Il y a un côté très enfantin dans ta musique et ton rapport à la mélodie. Je me trompe ?

    Pour moi, c’est un disque qui traite de choses d’adultes avec une volonté de voir le monde à travers les yeux d’un enfant. Cette dualité, c’est vraiment ce qui caractérise ma musique, ma personnalité également. Rien n’est calculé sur « Emotional Eternal », tout s’est vraiment fait de façon naturelle.

    Dans Pyramids In The Clouds, tu chantes : « Toutes ces années que j’ai perdu ».  Sans trop entrer dans ton intimité, est-ce que tu nourris beaucoup de regrets par rapport à ton passé ?

    Cette phrase fait avant tout référence à ces quelques années où j’étais à Paris, entre 2014 et 2016. C’était une période assez flottante, je n’avais pas d’inspiration et j’étais un peu en errance. Pyramids In The Clouds a été pensée comme un moyen d’accueillir mon passé, sans regrets ni rancunes. C’est la chanson d’une âme déçue qui avance désormais sans peur et sans angoisse. C’est une ode à l’inconnu, en quelque sorte.

    Ton album nourrit plein de fantasmes. À l'image de ce titre Where The Water Clears The Illusion. Du coup, question simple : où se trouve cet endroit ?

    Il se pourrait que ce soit à côté de là où j’habitais, au bord de la mer, dans le Sud de la France. Quand j‘étais désenchantée, j’allais sur la presqu’ile, je me posais auprès d’un sanctuaire naturel, sous les pins, et j’envoyais des vœux à l’horizon en espérant que les choses aillent mieux. Sans doute qu’elle se trouve là, cette eau sacrée… Mais d’un point de vue général, je dirais que je fais surtout allusion ici à la nature. Je sais que c’est très cliché de dire ça, mais le fait de marcher en forêt m'inspire et m'apaise.

    De là à dire que des idées de chansons surgissent lors de ces moments dans la nature ?

    Disons que j’ai la chance de vivre au sein d’une maison entourée de champs d’oliviers et de lavandes. Derrière, il y a même une forêt, que j’utilise régulièrement pour aller en ville. C’est une manière pour moi de me débarrasser de mes ruminations et de ce qui me pollue l’esprit pour accueillir des idées nouvelles. C’est parfois un mot, une note ou une situation précise, mais le mouvement qu’implique ces balades en forêt est très inspirant pour moi.

    Au sujet de ta musique, on lit souvent des mêmes termes comme « voyageuse » ou « rêveuse ». Les voyages, l’interprétation des rêves, c’est quelque chose qui te plaît ?

    L’interprétation des rêves, je ne m’y attarde pas spécialement. Ce qui m’intéresse, c’est de créer une sorte de refuge me permettant de m’échapper dans des paysages qui n’existent pas et qui me font du bien. L’écriture, y compris lorsqu’un texte n’est pas destiné à une chanson, est un excellent exercice pour ça.

    Il y a parfois un côté Gainsbourg dans ta musique : le spoken word sur The Hypnotist, le piano d'Alma_The Voyage. C'est une réelle influence ?

    C’est marrant que cet artiste vienne me rendre visite alors que je ne l’écoute pas vraiment depuis quelques années… Avec Reine et Fredrik, on est tous les trois fans de son œuvre, notamment les albums « L’homme à tête de chou » ou « Histoire de Melody Nelson », mais on a finalement plus écouté « La question » de Françoise Hardy, Marie Laforêt ou Robert Lelièvre durant l’enregistrement de l’album. Il faut croire que l’on a tellement écouté Gainsbourg que son influence est imprimée en nous. Sur The Hypnotist, par exemple, c’était naturel d’opter pour du spoken-word, ça convenait parfaitement à une telle mélodie. Quant à Alma_The Voyage, ce morceau doit plus à Sébastien Tellier, notamment au travail opéré sur La Ritournelle, mais comme ce dernier est également très influencé par Gainsbourg, tout se rejoint… À croire que les mêmes influences se transmettent entre les artistes que j’apprécie ou avec lesquels je collabore.

    Pour la première fois, ta pochette est en noir et blanc. C’est dans l’idée de contraster avec ta musique, très colorée ?

    Je n’y ai pas trop réfléchi, tout s’est fait naturellement. Ce qui est certain, c’est que j’ai tout de suite aimé le noir et blanc de Diane Sagnier, elle capte ici quelque chose de l’ordre de l’aura, une luminosité que l’on perçoit malgré le côté sombre. Aussi, ça rejoint le minimalisme recherché musicalement.

    Par le passé, je sais que tu étais frustrée de ne pas pouvoir faire appel à un tas de visuels sur scène. Là, le clip de Looking Backward a été pensé aux côtés d'une spécialiste de la 3D et du jeu. Dirais-tu que tu peux enfin donner toute sa dimension à ta musique, visuelle par essence ?

    Je me suis régalée, avec Diane ou avec les réalisateurs en 3D. Hyoyon Paik, une artiste coréenne, a vachement participé à la création de la vidéo. Quant à celle de Personal Message, j’avais vu un reportage sur Arte sur le murmure de la forêt, sur la communication entre les arbres, tout en images de synthèse. J’ai eu un gros coup de cœur, alors j’ai contacté l’équipe qui a tout de suite accepté de créer quelque chose spécialement pour moi. Là, mon dernier clip, celui d’Alma_The Voyage vient de sortir, toujours en collaboration avec Hyoyon Paik. J’ai enfin réussi à me régaler visuellement, mais ça reste une vraie source de questionnements. Je sais que les visuels sont plus que jamais importants aujourd’hui, mais j’ai aussi envie que l’on puisse écouter ma musique sans tous ces éléments.

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