2017 M01 27
Il semblerait qu’il y ait peu d’hommages musicaux à la littérature de Virginia Woolf. Comment c’était de débarquer sur un territoire aussi vierge ?
Ce disque tire ses origines d’un ballet dont j’ai composé la musique il y a deux ans. Cette pièce était basée sur trois romans de Woolf que j’avais lus à 20 ans, mais en écrire la musique revenait à rentrer dans l’esprit créatif de l’auteure et dans sa biographie. C’était assez expérimental en fait… Les trois romans sont très différents, mais Orlando [publié en 1928, ndlr] est le plus fou. C’est une histoire de science-fiction qui part dans tous les sens. C’est pourquoi dans cette partie du disque on peut entendre de la musique purement électronique, du synthé, etc. C’est une forme de liberté, même si on doit toujours préserver une certaine grammaire. Le travail d’écriture t’oblige à découvrir de nouvelles choses et à travailler avec des tubes de laboratoire… C’est vraiment l’image que j’ai en tête.
C’est drôle que vous parliez de science-fiction car vous avez composé des morceaux pour la bande originale de la série Black Mirror et je me demandais : pourquoi dans les films de science-fiction catastrophe, la musique est-elle toujours humaine et classique ?
C’est un constat intéressant. Il y a un contraste dans ma contribution à cette bande originale. Dans un sens, j’ai fait une musique conventionnelle avec des cordes très 19ème siècle, accompagné par un spectre de fréquences très basses, complètement électronique. Tu ne l’entends pas, ça n’a pas l’air artificiel, mais ça l’est complètement. Je pense qu’avec la science-fiction, qui est spéculative, on trouve dans la musique acoustique une espèce de consolation.
Les prospectives sont toujours terrifiantes dans Black Mirror. Comment cela vous a-t-il affecté ?
L’épisode sur lequel j’ai travaillé [« Nosedive », ndlr] est en fait très proche du documentaire ! Il est seulement exagéré de 5%, vraiment. On y reconnaît tous les faits exposés et c’est un épisode très shiny qui décrit la tyrannie du bonheur imposé. Exactement comme sur les réseaux sociaux. Ça m’a rappelé l’époque de mes études. On avait deux visions du futur : 1984, qui était violente et dépressive et Le Meilleur des mondes, qui était basé sur le plaisir, la séduction et la récompense. C’est plus dans cet univers que j’ai composé.
Pouvez-vous me parler du dernier morceau de votre album : Tuesday. Vingt minutes pendant lesquelles des voix se transforment en instruments.
Tuesday, c’est le premier mot du dernier texte de Virginia Woolf, sa lettre d’adieu, juste avant son suicide. J’avais cette image des vagues, qu’on retrouve dans son œuvre et qui propose un mouvement de va-et-vient. Il semblerait que la partie aquatique ait grossit au fil du morceau. À l’intérieur, la voix, qui d’abord me permettait de placer des éléments de biographie de l’auteure, est devenue un instrument qui chauffe. Et le texte est lu par Gillian Anderson [LA « Scully » d’X-Files, ndlr] qui était déjà présente dans le ballet.
Il y a d’autres pièces biographiques, comme cet enregistrement radio de la voix de Virginia Woolf. Ce disque vous a-t-il transformé en archiviste ?
Un peu ! J’ai été influencé dans mon écriture en découvrant cet enregistrement où Virginia parle de ce que lui évoquent les mots. Ce passage était tellement beau ! Dès lors, je n’avais presque plus besoin de faire de recherches. C’était le point de départ de mon disque.
Max Richter, « Three Worlds : Music from Woolf Works » sortira le 27 janvier en l’an 2017.