2022 M02 23
C’était un géant du rock, au sens propre comme figuré. Le natif d’Ellesburg dans l’état de Washington, à deux heures de bagnole de Seattle, n’a pas eu une enfance facile. À la maison, le papa, prof, boit sacrément. La mère a l’air dingue. Les Lanegan sont pauvres et vivent dans un milieu où les chances de s’en sortir sont infimes. Résultat : à 12 piges, le gamin est un délinquant en devenir. Il est déjà, comme il le racontera plus tard dans ses mémoires, « un joueur compulsif, un alcoolique débutant, un voleur, un fanatique du porno… ». À peine majeur, Mark a déjà un casier judiciaire long comme son bras (vol à l’étalage, fraude à l’assurance, 26 arrestations pour état d’ivresse, drogues, cambriolage, etc.).
Mais à 21 ans, alors qu’il a été biberonné au blues, au punk et à la new wave (il aimait autant Leonard Cohen que Joy Division), il fonde les Screaming Trees avec Van Conner, Gary Lee Connor et Mark Pickerel. Nous sommes en 1984, Prince, Phil Collins et Lionel Ritchie passent en boucle à la radio et le grunge n’existe pas encore.
Au début, ça se passe plutôt bien pour Mark. Screaming Trees devient vite une influence dans le rock amércain, aux côtés d’Alice in Chains, Pearl Jam, Soundgarden et bien évidemment Nirvana. Un premier bon album « Clairvoyance » en 1986 permet au groupe de défoncés de signer sur le label californien SST Records (Bad Brains, Sonic Youth, Dinosaur Jr., etc.). La bande à Lanegan poursuit ensuite l’aventure destructrice sur un plus gros label, Epic Records (The Clash, Michael Jackson, Rage Against The Machine, etc.). En 1991, au moment où Nirvana balance « Nevermind » au monde entier, Screaming Trees lâche les chevaux de « Uncle Anesthesia » co-produit par une autre légende, Chris Cornell de Soundgarden.
Certes, l’impact n’est pas le même. Mais Mark Lanegan, pote avec tous les malfaiteurs de cette scène (allant de Dylan Carlson de Earth à Kurt Cobain qu’il rencontre dès 1988), brûle la vie par les deux bouts : héroïne, alcool, tournées désastreuses, niveau d’hygiène douteux (le mec a failli se faire amputer d’un bras en 1992 à cause d’une grosse infection). Mark reste dans le groupe pour continuer à pouvoir se droguer et faire n'importe quoi. Ceci ne l’empêche pas de réaliser de belles choses, et même d’enregistrer un EP en commun avec Beat Happening en 1988 à l’arrière d’un vidéo-club. En 1990, il entame une carrière solo avec l’incroyable « The Winding Sheet », un disque où l’on retrouve son ami Kurt et Krist Novoselic (bassiste de Nirvana).
Mark Lanegan, sorte de Tom Waits du grunge, poursuit sa carrière solo (« Whiskey for the Holy Ghost » en 1993 est fabuleux), refuse d’aller chanter Where Did You Sleep Last Night avec Kurt pour son MTV Unplugged et retourne aux côtés des Screaming Trees en 1996 pour un dernier album et une dernière tournée où le groupe croise notamment Oasis (il raconte notamment que Liam Gallagher est une poule mouillée et qu’il s’est fait la malle quand les deux devaient se battre). En 1997, direction la cure de désintox, payée par Courtney Love. La seconde vie de Mark (façon de parler) débute.
Il arrête (un peu) les conneries et poursuit la musique en s’associant avec un tas d’artistes, comme PJ Harvey, Jay Mascis (Dinosaur Jr.), Belle and Sebastian, Warren Ellis, John Paul Jones, Isobel Campbell, Bertrand Cantat ou encore Queen of The Stone Age, avec qui il collabore dès l’an 2000 sur « Rated R ». Les disques solos s’enchaînent sur un bon rythme et explorent des styles plus divers, notamment avec des boites à rythmes et des synthés (le génial « Bubblegum » en 2004). Le géant divise donc sa vie entre les collaborations — The Gutter Twins, Soulsavers, QOTSA, Earth, etc. —, ses disques solos et les tournées. Une vie plus rangée, sobre et loin des dérives de sa jeunesse, mais qui aurait mérité plus de reconnaissance, tant sa discographie et son apport au rock ont été à la hauteur de sa personne.
Mark Lanegan, adoré par ses pairs — les réactions à sa mort sont nombreuses, allant de John Cale à Iggy Pop en passant par Peter Hook et Sleaford Mods —, est décédé chez lui à Killarney en Irlande où il vivait avec sa femme. Il avait failli mourir à cause de la Covid-19 en 2021 avant de prôner la vaccination. Les causes de son décès ne sont pas connues à ce jour. Mais ce qu’on sait, c’est qu’il rejoint en ce moment même les têtes brulées des années 90 (Chris Cornell, Mark Linkous, Kurt Cobain, David Berman, etc.) au paradis des rockstars.
Crédit photo : @SubPop
I can't process this. Mark Lanegan will always be etched in my heart - as he surely touched so many with his genuine self, no matter the cost, true to the end. xx jc pic.twitter.com/VDL176nbJu
— John Cale (@therealjohncale) February 22, 2022
Mark Lanegan was a lovely man. He led a wild life that some of us could only dream of. He leaves us with fantastic words and music! Thank god that through all of that he will live forever. RIP Mark. Sleep well. Love Hooky. X pic.twitter.com/Xnx76y68YC
— Peter Hook (@peterhook) February 22, 2022