2022 M07 13
Le défi est permanent. L’existence même des Vieilles Charrues en était un. Après tout, faire exister un festival de musiques actuelles en plein Kreizh Breizh, le centre-Bretagne, est une idée folle. Il a pourtant définitivement placé la petite ville de Carhaix-Plouguer comme lieu incontournable de la musique. Une fois ce tour de force accompli, rien d’étonnant à ce que le festival ait tout surmonté, des mouvements sociaux au Covid. Après une édition à l’étroit en 2021, les voilà en pleine forme pour cette 30è édition ce week-end. En tête d’affiche : Stromae, Orelsan, DJ Snake et -M-. Et pour le reste, on retrouve aussi SCH, Angèle, Ninho, Fontaines D.C., Lous & The Yakuza, Feu! Chatterton, ou même un étonnant B2B entre Bob Sinclar et Pedro Winter. Ainsi qu’une touche intergénérationnelle avec les habitués Matmatah, et les Australiens de Midnight Oil pour leur dernière tournée.
30 ans, c’est l’occasion d’être nostalgique. Le festival s’habillera ainsi aux couleurs des années 90. Mais difficile de faire ressembler le parc de Kerampuilh à la première édition du festival. Car en 1992, il était avant tout question d’une fête de fin d’année, organisée par des amis (surtout pions de collège et lycée) dans la ville voisine de Landeleau. Les 450 invités s’étaient installés devant une remorque de tracteur faisant office de scène, tandis qu’on y trouvait également de véritables charrues. C’est sûr qu’y faire venir Johnny Hallyday aurait été compliqué.
Mais pourquoi les charrues ? Tout simplement pour insister sur l’identité du centre-Bretagne de cette fête. Cette même année 1992, Brest organisait son rassemblement des Vieux Gréements, attirant toute l’attention des médias locaux. Le festival visait ainsi à rééquilibrer les choses, par un pied de nez potache. Le festival tel qu’on le connaît démarre véritablement en 1995, avec l’installation à Carhaix, et la venue des Blues Brothers (dix des membres de l’association contractent un prêt étudiant pour financer leur cachet). Deux ans plus tard, il accueillent leur première grande star, James Brown. De là, la croissance est exponentielle. Iggy Pop, MC Solaar, Joan Baez, puis l’édition 2001 avec Manu Chao et Noir Désir, première à dépasser la barre des 200 000 festivaliers, place le festival comme le plus grand de France. Jusqu’aux 280 000 festivaliers de l’édition 2017. Citer toutes les stars venues depuis serait bien trop long.
Les organisateurs ont pourtant connu une grosse frayeur pour l’édition 2003, alors qu’un important mouvement social des intermittents du spectacle menace de provoquer l’annulation des Charrues. Mais public comme artistes refusent de dire kenavo, et leur mobilisation sauve l’édition. Comment expliquer ce succès ? Sans doute un bon timing : alors que le modèle des festivals évoluait, les Vieilles Charrues ont pris la suite du festival Elixir, important festival breton des années 80. Disparu en 1987, il laisse alors un vide vite rempli.
Peut-être aussi est-ce tout simplement cette identité bretonne, encore au cœur du festival. On la doit notamment à Christian Troadec, ancien président du festival, désormais maire de Carhaix depuis 2001, et conseiller départemental puis régional sous une bannière régionaliste. Le festival le fait sentir à chaque instant, d’abord par le nom de ses quatre scènes - Glenmor, Kerouac, Grall et Gwernig - rendant hommage à des artistes d’origine bretonne. Mais surtout parce que la scène Gwernig est encore aujourd’hui dédiée aux musiques traditionnelles, celtiques mais aussi d’ailleurs.
En 2022, on y retrouvera par exemple la formation turque Derya Yıldırım & Grup Şimşek, le groupe An’Pagay venu de tout l’Océan Indien, ou encore l’Espagnol Rodrigo Cuevas. Ainsi qu’un Fest Noz, bien sûr, avec de grands noms locaux. Les Charrues sont toujours tirées, et regardent déjà vers le prochain été, avec la venue de Céline Dion, prévue depuis 2020. Québec et Bretagne : la fusion tant attendue.