Les héros oubliés du rock : Ricky Gardiner, guitariste de Bowie et d'Iggy Pop

Décédé en mai dernier, ce musicien écossais aura joué un rôle important pendant la période berlinoise des deux artistes, sur une tournée fameuse et deux des meilleurs albums de la fin des années 1970. Hommage à Ricky Gardiner, sacré guitariste de l’ombre.
  • Sur les images de l’époque, on le reconnaît immédiatement sur scène à sa salopette, portée par-dessus son torse nu, et à laquelle Iggy Pop avait d’ailleurs rendu hommage dans son message de condoléances. Cette tenue était-elle un vestige des années passées par Ricky Gardiner à enregistrer du rock progressif ?

    Musicalement, c’est en tout cas là que les choses sérieuses ont commencé pour ce musicien autodidacte né en 1948 à Édimbourg. En 1969 pour être précis, à la formation du groupe de prog rock Beggars Opera, qui sortira jusqu’au milieu des années 1970 plusieurs albums sur le mythique label Vertigo, spécialiste du genre.

    C’est à ce moment-là que Ricky Gardiner est repéré par Tony Visconti, grand producteur de la plupart des albums de Bowie de l’époque, qui lui fait enregistrer un petit single sur son label naissant, Good Earth, et le fait jouer sur le seul album solo de sa carrière, "Visconti's Inventory".

    C’est aussi lui qui le recommande à David Bowie pour l’enregistrement de "Low" (1977) au légendaire château d'Hérouville, où Gardiner fait également la rencontre d’Iggy Pop, puisque ce dernier est présent sur place depuis l’enregistrement en ce lieu de son premier album solo produit par Bowie, "The Idiot" (1977).

    Avant l’arrivée de Brian Eno, qui participera surtout à la face B instrumentale de "Low", Ricky Gardiner enregistre avec le reste de la bande l’essentiel de la face A de ce chef-d’œuvre absolu, considéré comme l’un des plus influents de la carrière de Bowie, si ce n’est le meilleur.

    La passion de Gardiner pour les pédales d’effets et la postproduction en fait le guitariste lead idéal en complément de Carlos Alomar, autre guitariste historique de Bowie. Dans son autobiographie publiée en 2007, Visconti qualifie d’ailleurs ainsi cet « archétype même de l’échalas de Glasgow » :

    « C’est l'un des guitaristes les plus originaux et évocateurs avec qui j’ai eu la chance de travailler. Il possédait toutes les pédales d’effet nécessaires et savait les combiner entre elles pour obtenir des sons étonnants : il y avait du Hendrix dans son jeu. »

    Bowie le comprend très bien aussi, puisqu’il lui laisse une liberté totale dans son jeu de guitare, en cohérence avec l’approche créative très libre choisie pendant l’enregistrement de cet album.

    Si Gardiner n’est pas présent sur l’intro foudroyante de Speed of Life et laisse la guitare lead à Alomar sur le très groovy Breaking Wall, c’est lui qui est derrière tous les riffs et les solos suivants, de What in the World au morceau instrumental qui clôt la face A, A New Career in a New Town.

    Il y a bien sûr la mélodie terrible du single Sound and Vision, mais on ne résiste pas non plus à la façon dont il fait pleurer sa guitare sur le déchirant Be My Wife, ou à la manière dont il catapulte Always Crashing in the Same Car dans le cosmos.

    Pendant son séjour au château d'Hérouville, Ricky Gardiner a aussi la bonne idée de prendre de nombreuses photos documentant de façon exceptionnelle ces sessions d’enregistrement qui fascinent encore 45 ans après.

    Après la France, Gardiner prend la direction de Berlin pour répéter avec le groupe qui accompagnera Iggy Pop sur sa tournée "The Idiot" de mars-avril 1977, et qui est notamment célèbre parce que David Bowie y joue du piano en toute discrétion, laissant la lumière à son grand copain de l’époque.

    Cette tournée a été très partiellement immortalisée sur le médiocre album live "TV Eye Live 1977", où l’on peut néanmoins entendre Gardiner jouer trois morceaux des Stooges (T.V. Eye, Dirt, I Wanna Be Your Dog) et Funtime, tiré de "The Idiot".

    Après cette tournée américaine et britannique, tout le monde revient à Berlin – au sein du Studio Hansa qui sera utilisé par Bowie pour "Heroes" – pour enregistrer avec Iggy Pop le successeur de "The Idiot", "Lust for Life" (1977). Un album de rock’n’roll phénoménal qui renoue avec l’énergie des Stooges, et où Ricky Gardiner joue un rôle décisif.

    C’est en effet lui qui a trouvé le riff du morceau The Passenger, considéré comme l’un des meilleurs de l’histoire du rock, et pour lequel il est crédité comme seul compositeur. Trois notes célébrissimes trouvées selon Gardiner lors d’une balade matinale et printanière dans son jardin.

    Et comme il est nettement plus intéressé par l’astrologie et le courant new age que la grande débauche rock’n’roll, il expliquera l’inspiration de l’album par une « énergie lunaire ascendante », à l’œuvre notamment sur le morceau enjoué Success, qu’il cosigne avec Bowie, et qui se distingue aussi par un riff et un solo mémorables.

    Gardiner est également crédité aux côtés de Bowie pour la composition menaçante de Neighborhood Threat, et il est le guitariste lead sur la quasi-totalité de cet album, où les morceaux monstrueux se comptent à la pelle, de Some Weird Sin à l’incontournable titre éponyme repopularisé par Trainspotting (Danny Boyle, 1996). Gardiner joue même de la batterie sur le jam qui clôture l’album, Fall in Love with Me, et où tous les membres du groupe changent d’instrument.

    Après l’enregistrement de "Lust for Life", Gardiner est encore invité à rejoindre Iggy Pop pour la tournée qui suit, mais il décline l’invitation en raison de ses nouvelles obligations parentales. Ses deux dernières collaborations avec Iggy Pop et David Bowie sont réalisées pour la télévision.

    Il est encore appelé par Visconti pour enregistrer dans son studio la partie de guitare de "Heroes" qui sera jouée lors de l’apparition bien connue de Bowie à Top of the Pops en octobre 1977, et qui donnera une anecdote savoureuse. En tentant de reproduire le son de guitare caractéristique créé par Robert Fripp sur le morceau et sans savoir qu’il a employé un appareil spécifique (un EBow), Gardiner casse en effet son ampli en forçant sur le feedback.

    Enfin, Gardiner est présent dans sa salopette signature et avec Bowie dans le groupe qui accompagne Iggy Pop sur le plateau de l’émission The Dinah! Show, pour jouer Sister Midnight et Funtime devant un public et des présentatrices médusés, soit un moment de télévision de 1977 totalement surréaliste.

    Par la suite, Gardiner créera son propre studio d’enregistrement et continuera d’enregistrer de la musique instrumentale et ambient en solo dans les années 1980 et 1990, en profitant notamment des avancées permises par l’arrivée de l’informatique.

    Mais en 1998, il affirme commencer à souffrir de sensibilité électromagnétique, ce qui réduit considérablement ses possibilités en studio, mais ne l’empêche pas de reformer Beggars Opera pour sortir quelques nouveaux albums. Après avoir souffert pendant des années d’une forme rare de la maladie de Parkinson, il est décédé le 13 mai dernier à l’âge de 73 ans.

    Crédit photo Une : site officiel Ricky Gardiner.

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