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Il est difficile de trouver un nom qui apparaît plus souvent sur les notes de pochette de classiques du rock que Nicky Hopkins. La liste complète de ses contributions musicales a même de quoi donner le tournis : The Rolling Stones, The Kinks, The Who, The Beatles, Jefferson Airplane, Joe Cocker, Jeff Beck, Rod Stewart, Donovan, Harry Nilsson, Art Garfunkel, Quicksilver Messenger Service et encore des dizaines d’autres. D'un point de vue historique, Nicky Hopkins fait même partie des très rares élus à avoir joué avec les quatre anciens membres des Beatles sur leurs albums enregistrés en solo.
Mais comment un pianiste avec une formation très classique – il a gagné une bourse pour rejoindre la Royal Academy of Music de Londres lors de son adolescence – est-il devenu le musicien de studio le plus demandé de Londres pendant l’âge d’or du rock ? La réponse vient de l’autre côté de l’Atlantique.
Né en 1944 en plein raid aérien à Perivale dans la banlieue de Londres, Nicky Hopkins est fasciné très tôt par le rock’n’roll américain des pionniers comme Chuck Berry, et commence à développer un style de jeu capable de rivaliser avec les pianistes de la scène du sud des Etats-Unis, à Memphis ou La Nouvelle-Orléans.
À seulement 16 ans, il lâche donc les études pour rejoindre les Savages de Screaming Lord Sutch, avant de rejoindre deux ans plus tard les All-Stars de Cyril Davies, groupe pionnier du british blues boom du début des années 1960. Malheureusement, Nicky Hopkins est rattrapé en 1963 par de graves problèmes de santé qui le poursuivront toute sa vie : souffrant de la maladie Crohn, il est contraint de quitter le groupe pour être opéré et échappe de peu à la mort - contrairement à Cyril Davies, qui succombe à une leucémie pendant sa longue convalescence.
Conscient de sa fragilité physique, Nicky Hopkins se concentre donc sur le travail en studio, et il est bientôt repéré par le producteur Shel Talmy, collaborateur des Kinks et des Who. Avec les premiers, il apparaît sur tous les albums de "The Kink Kontroversy" (1965) à "The Kinks Are the Village Green Preservation Society" (1968), posant de magnifiques mélodies de piano, de mellotron ou de clavecin sur des perles comme Days ou Two Sisters.
Nicky Hopkins est tellement important pour le groupe des frères Davies qu’il a droit à une chanson en son honneur sur le chef-d’œuvre "Face to Face" (1966), Session Man, dont il signe l’intro de clavecin ébouriffante. En parallèle, Shel Talmy lui fait enregistrer son premier album solo, "The Revolutionary Piano of Nicky Hopkins" (1966), où il reprend notamment au piano des standards de l’époque comme Satisfaction ou Yesterday.
Et puisque l’on parle des Rolling Stones, Nicky Hopkins commence l’année suivante sa collaboration avec le groupe qui sera incontestablement le plus important de sa carrière. De 1967 à 1976, il apparaît en effet sur quasiment tous leurs grands albums, jouant par exemple les mélodies célébrissimes de She’s a Rainbow et Angie.
Son talent est aussi largement mis en évidence sur Loving Cup, Monkey Man, ou encore Salt Of The Earth (ce solo d’outro !) et We Love You (ce solo d’intro !), au point que Nicky Hopkins laisse une trace beaucoup plus importante dans la discographie des Stones que leur pianiste originel, Ian Stewart, moins talentueux et abonné aux morceaux rock plus traditionnels.
Un titre illustre d’ailleurs à merveille l’importance de Nicky Hopkins pendant la meilleure période du groupe : Sympathy For The Devil, rythmé du début à la fin par une partie de piano au moins aussi cruciale que la guitare de Keith Richards ou les « woo-woo » de Mick Jagger ("Nicky" est d'ailleurs le premier remercié dans le clip ci-dessus).
Quand à One + One, le film de Jean-Luc Godard documentant en 1968 l’enregistrement de Sympathy For The Devil, il permet d’ailleurs de voir comment Nicky Hopkins a contribué de façon décisive à la création de ce qui est l’un des meilleurs morceaux de l’histoire du rock.
Avec les Stones, Hopkins participera exceptionnellement à quelques tournées, comme le légendaire « American Tour 1972 » avant que sa santé le rattrape une nouvelle fois. En compagnie du groupe (sans Keith Richards, mais avec Ry Cooder), il enregistre aussi l’album pas franchement mémorable "Jamming with Edward!" (1972) : Edward étant son surnom au sein du groupe.
Mais ce qui est nettement plus notable, c’est sa contribution à la version single du Revolution des Beatles (1968), où il laisse deux solos de piano encore une fois spectaculaires.
Au même moment, il accepte finalement de rejoindre à nouveau un groupe, optant pour le Jeff Beck Group – avec qui il signe la jolie ballade instrumentale Girl From Mill Valley – plutôt que pour Led Zeppelin (tranquille la vie !).
Mais Nicky Hopkins préfère le soleil de la Californie et prête donc aussi ses services au grand groupe psychédélique de San Francisco, Jefferson Airplane, avec qui il enregistre l’album très politique "Volunteers" (1968), avant de se retrouver sur la scène de Woodstock en 1969.
À San Francisco, Hopkins rejoint par la suite un autre groupe psychédélique, Quicksilver Messenger Service, en plus d'y rencontrer sa première femme, Dolly. Mais comme tant de musiciens de l’époque, il tombe aussi là-bas dans des excès et des addictions qui ne font pas bon ménage du tout avec sa santé précaire.
Pour autant, Nicky Hopkins est alors au sommet de sa carrière : il laisse une marque indélébile sur un classique des Who ("Who’s Next", 1971) et sur un certain "Imagine" (1971) de John Lennon, notamment en jouant la partie de piano déchirante de la ballade ultime, Jealous Guy.
Sa réputation est telle que la major américaine Columbia lui offre un contrat pour un deuxième album solo, qui sort en 1973 sous le nom "The Tin Man Was a Dreamer", et qui bénéficie de la présence entre autres de Mick Taylor et George Harrison.
On y entend pour la première fois sa voix, et ce disque pop-rock qui n'a rien à envier aux meilleures productions sorties par Elton John est sans aucun doute la pépite de la discographie de Nicky Hopkins, qui sortira un dernier album solo plus confidentiel en 1975 ("No More Changes").
On pourrait encore épiloguer longtemps sur ses collaborations avec Marc Bolan, David Bowie, Donovan, Ella Fitzgerald, Harry Nilsson, The Yardbirds : la vérité est que Nicky Hopkins mérite un livre, qui a été publié en 2011 sous le titre "And on piano... Nicky Hopkins: The Extraordinary Life of Rock's Greatest Session Man" (Julian Dawson), malheureusement non traduit en français.
On a appris l’an dernier qu’il va avoir droit à un documentaire nommé "The Session Man", et c’est une excellente nouvelle : il est grand temps de le reconnaître à la hauteur de son talent et de sa contribution à la grande histoire du rock. Nicky Hopkins est mort prématurément en 1994 à l’âge de 50 ans, de complications chirurgicales liées à la maladie de Crohn, contre laquelle il a bataillé toute sa vie.