2022 M02 21
L'annonce est tombée en fin de semaine dernière, soit sept jours après que SCH, lors des 37e Victoires de la Musique, ait déploré le manque de considération accordé au rap : Les Flammes, une cérémonie dédiée au rap français, vient d'être créée par deux médias rap (Booska-P et Yard) et une agence de marketing (Smile). Ce qui était dans les tuyaux depuis plusieurs années vient donc de se concrétiser à partir d'un simple constat : le rap est depuis trop longtemps maltraité par les Victoires de la Musique, ce « vieux monde » (pour reprendre les termes de Vald) piloté par des institutions qui ont toujours donné l’impression de ne pas savoir quoi en faire (« album groove », « album de musiques urbaines », etc.), quitte à le reléguer en dernière partie d’émission ou carrément sur une autre chaine (sur France 4 au lieu de France 2).
Et encore, c’est sans compter les fois (nombreuses) où les sélections paraissaient insensées - mention spéciale à la 14e cérémonie, en 1999, où Manau reçoit le prix du « Meilleur album rap », visiblement gêné d'être sacré à la place de MC Solaar, NTM ou Ärsenik, présents la même année...
Je n’irais pas aux Victoires de la musique, j’ai une deuxième partie d’album à sortir. Bonne soirée les humain(e)s
— Nuages (@Sopicooo) January 9, 2022
Dans une interview à Ventes Rap, Hamad, le fondateur de Booska-P appuie la même idée : « Il faut arrêter de se plaindre de notre place au sein de cérémonies telles que Les Victoires de la Musique ou les NRJ Music Awards et faire les choses par nous-mêmes ». Dans le même article, Tom Brunet, cofondateur de Yard, ajoute : « Les Flammes c’est plus qu’une simple réponse à des institutions qui n’arrivent pas ou ne veulent pas suivre l’ère du temps. C’est la suite logique d’une culture que l’on a catalogué comme une sous-culture, mais qui est devenu LA culture populaire des nouvelles générations. C’est pourquoi il est important que tous ses acteurs et que son public puissent maintenant se sentir représentés et célébrés. »
Le discours de SCH aux Victoires de la Musique en hommage au Rap FR.
— 60SecondesSCH (@60SecondesSCH) February 11, 2022
«Je vous l'avoue, je suis gêné ce soir de tenir cette Victoire sans les voir ici, ces grands Messieurs qui méritaient tout autant que les artistes présents de célébrer leurs Victoires» pic.twitter.com/55hXzuiyx3
La première édition des Flammes étant prévue pour 2023, il est pour l’heure difficile d’émettre un jugement sur son possible contenu. Si l'on comprend bien que son existence paraît vitale, d'autant que la situation est la même aux États-Unis (rappelons que Nas a attendu 2021 pour recevoir son premier Grammy...), de nombreuses questions méritent toutefois d’être posées : le rap, aussi peu respecté soit-il par les Victoires de la Musique (seuls deux artistes étaient nominés cette année…), a-t-il réellement besoin d’une cérémonie alors que les chiffres de ventes, les streams et les articles élogieux témoignent de sa vitalité ? Le slogan (« La cérémonie des cultures populaires ») n'est-il pas une façon d'admettre que seuls les gros vendeurs seront récompensés, laissant de côté toutes considération artistiques ?
N'y-a-t-il pas le risque de voir les majors prendre le contrôle sur les nominations, dictées par les encarts pubs accordés par ces médias aux maisons de disque ? Enfin, n’est-ce pas là le moyen de créer une frontière entre le grand public (aussi vaste soit-il) et une communauté de fans (aussi large soit-elle) qui s’autocélébrent entre eux ?
En attendant d'en apprendre davantage sur le contenu de cette cérémonie, qui devance celle que Cyril Hanouna aimerait fonder aux côtés de Skyrock, on peut se demander également si les rappeurs et les rappeuses suivront le projet. Après tout, Nekfeu, Alpha Wann ou encore PNL ont depuis longtemps affiché leur volonté de ne pas se mélanger au circuit médiatique, tandis que d’autres artistes (au hasard, Lomepal) affirment clairement vouloir proposer une musique qui aille au-delà du rap. Seule certitude : les artistes habitués aux certifications (Ninho, Gims, Jul, etc.) seront enfin mis à l'honneur, tandis que l’industrie rap affirmera un peu plus encore son indépendance et sa volonté de faire les choses à sa façon.
Au point de se priver d'une visibilité auprès d'un public plus âgé et traditionnellement tenu à l'écart de l'actualité rap ? L'avenir le dira, et l'on saura alors si les principaux concernés pourront crier « victoire ».
Crédit photo : Bertrand Guay (AFP)