Pourquoi les médias snobent-ils le succès d'Aya Nakamura ?

Sorti hier, le clip de "Pookie" d'Aya Nakamura rappelle avec brio que la Franco-Malienne est un phénomène, malheureusement pas toujours respecté par les médias et le grand public.

Héroïne. Entourée de danseurs hyper stylés, Aya Nakamura investit les murs d'un sublime château. Elle porte des tenues de haute couture, se dandine au milieu d’un décor royal et prend fièrement la pose. Clairement, elle est la reine. Celle du clip de Pookie, l’un des singles les plus emblématiques de son second album (« Nakamura »). Mais aussi celle de la pop française. Les stats le prouvent : entre ses titres, parmi les plus streamés en 2017, et le succès de Djadja, 348 millions de vues sur YouTube et numéro un jusqu’aux Pays-Bas, la Franco-Malienne n'a pas d'égal.e actuellement.

Un cas à part. Étonnamment, Aya Nakamura reste pourtant une anomalie au sein du paysage médiatique hexagonal, bien incapable d'aborder son cas avec intelligence et recul. Sur les plateaux télé, on parodie gentiment ses morceaux ou on érafle son nom (Nikos, c’est toi qu’on vise !). Dans la presse écrite, on s'étonne du lexique employé par la chanteuse d'Aulnay-sous-Bois, oubliant de rappeler par la même occasion que la chanson française a toujours été renouvelée par l'apparition de nouveaux mots et, comme le rappelle un excellent article de Yard, que la France s'est longtemps ambiancée au rythme de "tsoin tsoin" et "darla dirladada".

Nouvelle identité. Le problème, finalement, est que la musique d’Aya Nakumura, avec ses accents d'afrobeat, ses rythmes caribéens et ses expressions empruntées à différentes langues africaines, façonne un monde nouveau, loin de celui arpenté (et finalement classique) par Clara Luciani, Angèle ou Fishbach. Ici, tout est plus groovy et dansant, moins blanc finalement. Alors, forcément, on la juge plus volontiers sur l’efficacité de ses mélodies plutôt que de réellement tendre l'oreille à des paroles qui en disent parfois plus long sur l’émancipation des femmes que de nombreux textes féministes.

Injustice. Sûre de ses choix, Aya Nakamura est effectivement de ces artistes qui avancent sans le parrainage de figures masculines. Ses choix, elle les fait elle-même et les assume - à l'image de Djadja qu'elle souhaitait comme premier single, quand certains lui conseillaient d'opter pour La Dot. Après tout, c'est aussi ça Aya Nakamura : une artiste libre, qui a parfaitement compris son époque et sait intelligemment (en tout cas, plus qu'on ne le pense) dialoguer avec elle à travers tout un tas de gimmicks facilement récupérables sur les réseaux ("En catchana", par exemple).

Et pourtant, le 8 février dernier, au moment de remettre le prix de la « Chanson originale », c'est bien vers Boulevard des Airs que se sont tournées les Victoires de la musique. Ou comment la tradition - celle de faux loubards chantant une France uniquement fantasmée par Jean-Pierre Pernault - continue en 2019 d'être mieux appréhendée par le gratin de l’industrie que par la modernité d'une artiste riche de mille cultures et de mille idées.