2020 M06 4
Des expressions un peu fourre-tout pour décrire la musique, l’industrie en a des tonnes. Le Rock à Papa, l’Américana, la Bubblegum pop… Une liste non-exhaustive à laquelle on peut ajouter celle de Black Music. Un terme ancré dans notre société puisque de nombreux livres l’utilisent et qu’aux États-Unis on célèbre depuis 2001 l'héritage culturel des artistes noirs ainsi que leur importance pour l'économie lors du « Black Music Month » en juin.
Peut-on encore parler de Black Music ? Cette question se pose pour plusieurs raisons. La première : cela englobe (beaucoup) trop de styles musicaux venant de différentes parties du monde. Oui, le blues, c’est de la Black Music. Le jazz aussi. Le gospel. La disco. Le rock. Mais aussi le dancehall, le reggae, l’afro-beat, la dubstep, la trap, la bachata ou bien la Plena. Ces sonorités, qui viennent aussi bien d’Afrique (Nigeria, Ghana, etc.) que d’Amérique du Sud et du Nord (États-Unis, Porto Rico, etc.), des Caraïbes (Jamaïque) ou d’Europe (Royaume-Uni), ont toutes leurs particularités et ne peuvent pas être simplifiées sous une seule et unique appellation, trop réductrice. Surtout qu’elles sont à l’origine des plus grands mouvements et styles musicaux de ces 80 dernières années.
Sans Little Richard, pas de Beatles. Idem avec Bessie Smith, Duke Ellington, Billie Holiday, Chuck Berry pour les plus connus (ou Mamie Smith, Count Basie ou bien Gladys Bentley pour ceux moins dans la lumière), qui ont tous été des pionniers dans leurs arts, posant les bases du jazz, du rock et du hip-hop. La grande majorité de la musique populaire et des styles qui émergeront à partir des années 1950 jusqu’à aujourd’hui (rock, disco, trap, rap, house, etc.) viennent de ces artistes, et donc de la « musique de noirs », une population historiquement opprimée. Avec bien évidemment son lot d’amalgames, d’incompréhensions et de dénis, la Black Music reste une vision occidentale de la musique sans prendre en compte son histoire et ses racines anciennes.
Mais si le terme Black Music est devenu désuet pour décrire une musique, il peut faire référence à un engagement (social, politique, etc.) au sein de celle-ci. « La musique noire n'existe pas à cause de certains traits biologiques innés qui accompagnent la pigmentation de la peau et s'expriment en quelque sorte musicalement, mais plutôt à cause des conditions matérielles auxquelles une telle pigmentation a été associée en Amérique au cours des siècles : l'esclavage, la ségrégation, etc. », écrit Frank Kovarik sur le site de l’université Washington de Saint-Louis.
Le regard des artistes de différentes générations (Stevie Wonder, Robert Johnson, Nina Simone, Billie Holiday, Miles Davis puis Gloria Gaynor, Frankie Knuckles, Michael Jackson, Whitney Houston, Tupac, Jay-Z, Kanye West, Beyoncé, Kendrick Lamar, Childish Gambino) sur la condition noire est primordial, qu’il traite des discriminations, des violences, des injustices ou des conditions de vie. Dans ce sens, le terme Black Music serait une manière de parler des artistes engagés qui, dans leurs musiques, racontent la vie, le quotidien et les difficultés d’une communauté.
Mais quand Bob Dylan et les « protest singers » chantaient leurs morceaux contre la guerre (entre autres), personne n’a eu l’idée de les regrouper sous l’appellation de « musiques blanches ». Et ce problème, Adrien Durand, dans son livre Kanye West, la Créativité Dévorante, l’a bien résumé : « D’un côté, les artistes blancs peuvent naviguer entre les styles et les communautés, s’appropriant idées et parts de marché, sans se soucier de leur légitimité ni limiter leur expression à des cibles de publics particulières. De l’autre, les artistes noirs sont ramenés en permanence à leur condition et à leur devoir vis-à-vis de leur communauté. Personne n’a jamais appelé Taylor Swift « La Beyoncé Blanche », malgré le tribut qu’elle doit à celle-ci. »
Si certains artistes aujourd’hui, comme Kendrick Lamar ou Run the Jewels, mènent toujours le combat (car la récente mort de George Floyd montre qu’il s’agit bien d’un combat qui dure depuis des décennies), d’autres comme Kanye West ont voulu casser les barrières raciales. Une volonté résumée dans un article intitulé « I’m Not Black, I’m Kanye » par Ta-Nehisi Coates, qui explique que le rappeur ne veut pas être un leader : West veut être la plus grande rockstar au monde, et pas uniquement un symbole pour les noirs. Mais que l’on parle de West, de Lamar, de Wonder ou de Simone, on parle avant tout de musique. Et pas de couleur de peau. Et bizarrement, on a tendance à l’oublier.
La question est forcément difficile à trancher, voire impossible. Ce terme n’est pas une étiquette raciste, ni un sticker que l’on colle sur un CD pour faire vendre. Il renvoie à une histoire, une culture et un passé qu’il faut continuer de célébrer à sa juste valeur. Et qui continuera d'être inhérent à la musique.