Le jour où François de Roubaix est mort en faisant de la plongée sous-marine

Durant son bref passage sur Terre, l’un des plus uniques compositeurs de notre pays, aka François de Roubaix, avait trois passions : la musique, ses amis et la mer. Intimement liées, les deux premières lui auront permis de construire sa vie tandis que la dernière y mettra un point final. Il meurt noyé le 22 novembre 1975 aux îles Canaries.
  • André Malraux disait : « La tragédie de la mort est en ceci qu’elle transforme la vie en destin ». Lorsqu’on colle cette citation à l’éclatant, mais fulgurant parcours de François de Roubaix, cette dernière prend tout son sens.

    Compositeur confirmé tout autant qu’aventurier, le Français aura mené une existence pleine, oscillant entre la musique et les océans, deux amours chéris pendant plus de 10 ans. Et s’il était au sommet de son art en 1975, c’est depuis les profondeurs qu’il jouera sa dernière partition. Sans fil d’Ariane — outil permettant aux plongeurs de retrouver le chemin de la surface — il se perd dans les méandres d’une grotte sous-marine située non loin de Tenerife. À 36 ans, il laisse ses deux jeunes enfants.

    Dans la famille de Roubaix, tout commence avec le père, Paul. Producteur de films, il transmet à son fils François, ses passions pour le cinéma et la plongée. Avide de créations en chaque genre, le bambin les gonfle bien vite d’une autre, la musique, dont il apprend les rudiments de façon autodidacte. Il se familiarise d’abord au jazz, puis à une large gamme d’instruments, des cordes aux claviers en passant par les vents, et même les percussions. Une formation en indépendant qui découle sur un premier coup d’éclat, en 1959. Date à laquelle son père lui somme de mettre en sons le court métrage L’Or de la Durance, signé Robert Enrico, un futur proche de de Roubaix fils.

    Six ans plus tard, ce même Enrico offre à François son premier long. Baptisé Les Grandes Gueules (1965), il marque le point de départ d’un marathon de dix ans qui verra le compositeur s’employer autant sur le petit que le grand écran. Que ça soit pour des cinéastes comme José Giovanni (Dernier Domicile connu, 1970) et Jean-Pierre Melville (Le Samouraï, 1967), ou pour des créateurs de séries télévisées, à l’image du Commissaire Moulin ou de Chapi Chapo, l’homme orchestre est partout.

    Depuis son appartement de la rue de Courcelles dans le XVIIe arrondissement parisien, François de Roubaix travaille sans relâche. La nuit, enfermé dans son « studio domestique » — l’ancêtre du « home studio » — il s’adonne à des expériences sonores mêlant habilement instruments acoustiques et traditionnels à tout ce que les synthétiseurs électroniques et autres magnétophones à multiples pistes peuvent offrir. Plus que ce mélange des genres, cet authentique « homme studio », est à la baguette sur toutes les étapes de la création : composition, interprétation, enregistrement, mixage… Selon l’expert en la matière Stéphane Lerouge, La Scoumoune (1972) de José Giovanni est « l’œuvre-matrice des années home-studio ». Via cette bande-originale, il développe le concept de re-recording, qu’il explique largement dans cette interview.

    Au milieu de tous ses instruments qui trônent littéralement sur les murs de son chez lui, il y en a un plus particulier que les autres, le synthétiseur. Il fait office de pont doré entre ses vocations, la plongée et la musique. Avec lui, François de Roubaix peut exprimer ce qu’il ressent lorsqu’il est sous l’eau, toute cette farandole de sons et d’ambiances que les grands fonds lui évoquent. Une démarche qui amène avec elle une certaine ambivalence : la description des espaces sous-marins se fait via de l’électronique. Cette période dans son œuvre, cette retranscription, s’étendra de 1972 jusqu’à 1975, année de sa disparition.

    Le 21 novembre 1975 donc, le compositeur français et son ami Juan Benitez, moniteur de plongée également guitariste, partent ensemble explorer une grotte aux Canaries qu’ils connaissent un peu, pour y avoir déjà fait des photos. Par confiance ou excès de zèle, personne ne le sait encore, la paire descend à 25 mètres sans se munir de fil d’Ariane, outil essentiel du plongeur pour remonter à la surface. Perdus dans les dédales de cette structure sous-marine labyrinthique, leurs bouteilles d’oxygène se vident. Ils ne retrouveront jamais le chemin de la sortie, et à court d’air, rendront leur dernier souffle.

    Quelques mois seulement avant de ne jamais ressortir de l’eau, déjà en 1975, François de Roubaix retrouvait son ami Robert Enrico, pour composer la BO du film Le Vieux Fusil. Une manœuvre inspirée, puisque ce travail sera son plus grand succès public. Ironie du sort ou détail funèbre, le 3 avril 1976, soit le jour de son anniversaire, il obtient le César de la meilleure musique de film.

    Aujourd’hui, 47 ans après sa mort, l’œuvre du « Ennio Morricone français » continue de fasciner. Outre les documentaires successifs qui lui ont été consacrés — notamment celui-ci, François de Roubaix, l’homme orchestre (2018) — ses créations ont été samplées par plusieurs autres générations d’artistes, dont, Robbie Williams, Carl Craig, Missy Elliott, Stephen Simmonds, KRS-One, (Lil) Bow Wow, Troublemakers ou encore Lana Del Rey. Ultime preuve que la musique de ce pionnier parmi les pionniers a traversé le temps, le vent, et bien sûr, les marées.

    Crédit photo en une : visuel de l'album "Courts métrages".

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