Le "Anti" de Rihanna est-il le disque le plus important des années 2010 ?

Grossière, la question ? Non, plutôt logique quand on sait que le huitième album de RiRi, sorti en 2016, vient de passer plus de 200 semaines au sein du "Billboard 200". Un record.

Tout avait pourtant mal commencé. Une semaine après sa sortie, « Anti » pointe difficilement à la 27ème place dans les charts américains. Une semaine plus tard, seulement 130 000 exemplaires sont écoulés. Un chiffre enviable pour la grande majorité des artistes, mais indigne d'une popstar qui vient tout juste de signer un single aux côtés de Kanye West et Paul McCartney.

La faute, sans doute, à une communication mal maitrisée, à un marketing hésitant et à de multiples changements de stratégie ; l'album, à la base, devait s'appeler « #R8 ». Surtout, le disque est dépourvu de singles évidents : on est alors en 2016 et Work, avec son rythme dancehall, détonne au sein d’un paysage musical dominé par la trap.

Femme fatale. Si « Anti » n’est pas vraiment un album complexe, c’est un disque richement produit, en rupture avec la Rihanna que l’on connaît depuis Diamonds ou Umbrella. Ici, ce n’est pas une chanteuse pour midinettes en pleine crise de la gestion de leurs premiers émois que l’on entend, mais bien une artiste indépendante (elle vient de quitter Def Jam pour Roc Nation), déterminée à multiplier les contrepieds (sa reprise de New Person, Same Old Mistakes de Tame Impala, son sample de Florence and The Machine sur Goodnight Gotham) et les collaborations prestigieuses (Drake, donc, mais également Timbaland, SZA, No I.D. ou DJ Mustard).

Œuvre totale. Certains la décrivent alors comme capricieuse, du genre diva. D’autres comprennent au contraire qu’elle ne cherche qu’à chanter sa propre histoire, librement, dans un délire nettement plus spirituel que mégalomaniaque. « Je dois faire les choses à ma manière », rappelle-t-elle en ouverture, comme un avertissement adressé à l’auditeur, sur le point de tendre l’oreille à cinquante minutes de pop ambitieuse et introspective, hostile aux concepts artistiques rigides (on passe des rythmes caribéens au rock ou au R'n'B d'un morceau à l'autre) et ouvertement sexuelle.

Ça ne suffit pas à faire d’« Anti » L’ALBUM des années 2010, mais il est suffisamment fou, déroutant et inspirant (« A Seat at the Table » de Solange, « Thank U, Next » d’Ariana Grande ou « Blonde » de Frank Ocean ne s’inscrivent-ils pas dans une même démarche ?) pour avoir grandement participé à l’explosion des cloisons entre mainstream et avant-garde. Au point que le New York Times en parlait à sa sortie comme du « disque que vous enregistrez quand vous n'avez pas besoin de vendre des disques ». À l'écoute du huitième album de RiRi, ce constat est indéniable et rend le record réalisé par « Anti » d'autant plus impressionnant.