Les années 2010 n'auraient pas été les mêmes sans tous ces producteurs

Depuis 2010, les producteurs ont pris une place de plus en plus importante au sein du paysage musical mondial, et c’est une très bonne chose. On leur accorde désormais des portraits, on leur attribue des récompenses et on salue leur travail dans les médias. Y compris chez Jack, toujours là quand il s'agit de célébrer les hommes de l'ombre.

Metro Boomin

Déjà bien coté au mitan des années 2010, Metro Boomin n’a cessé de confirmer les attentes avec des productions complétement folles pour le gratin d'Atlanta : Mask Off de Future, Bad And Boujee de Migos ou encore les albums « Without Warning » (21 Savage et Offset) et « Droptopwop » de Gucci Mane que le mec a composé en toute décontraction, sans se soucier de l’attente à l’extérieur des studios : « La seule raison pour laquelle nous n’avons pas fait plus de chansons, c’est parce que Metro s’est endormi », a ainsi confié Gucci Mane. À 24 ans, Metro Boomin a donc déjà imposé sa science du son, caractérisée par un esprit minimaliste, l’utilisation régulière de drops et la popularité de son gimmick : « If Young Metro don’t trust you » est apparu en introduction d’une douzaine de morceaux en 2017, la plupart finissant leur course dans le Top 100 des charts américains.

Surtout, le bonhomme est en train de prouver à tout le monde qu’il n’est pas bon qu’à produire de la trap qui transpire la mauvaise weed et la nonchalance : Who’s Stoppin Me, avec Big Sean, est construit sur un sample d’une musique traditionnelle brésilienne. Lana Del Rey et James Blake en personne ont eu l’intelligence de faire appel à ses services. Ça s’appelle God Bless America - And All The Beautiful Women In It ou Mile High, et ça ferme quelques bouches. Du moins celles de ceux qui pensaient que Metro Boomin n’était pas capable de produire de vrais tubes pop.

No I.D.

Nommé dans la catégorie « Producteur de l'année » lors des Grammy Awards de 2017, No I.D. bénéficie enfin de la reconnaissance qu’il mérite depuis plus de deux décennies, lui qui a produit le premier album de Common en 1992 et collaboré avec différentes générations de rappeurs (de Nas à Vince Staples, du G-Unit à Kid Cudi). Son statut, il le doit pourtant à un MC plus qu’aucun autre : Jay-Z, dont il a produit l’entièreté du dernier album (« 4:44 »), qui lui a permis d’être reconnu de tous et donc de changer la vision du grand public quant à sa musique.

« Ce qu’ils appelaient de la culture urbaine s’est transformée en pop culture », déclarait-il, l’air ravi, au New York Times. Nul doute que son travail auprès de Drake (« Thank Me Later », « Scorpion »), Kanye West (« My Beautiful Dark Twisted Fantasy », « Yeezus ») ou Rihanna (« Anti ») y ont grandement contribué.

Dany Synthé

Sérieusement, quoi de plus impressionnant que d’avoir composé tellement de tubes que l’une des plus grandes chaines françaises (M6) ait été obligée de faire appel à vous pour son émission phare (La Nouvelle Star) ? La réponse, vous l’avez forcément. Elle se trouve sur le CV de Dany Synthé, à la production de tubes pour Gims, Booba, Benjamin Biolay ou encore MHD. Et donc à l’origine d’une certaine idée de la pop urbaine, celle qui accumule les disques de platine et brouille les frontières entre variété et hip-hop.

Pi’erre Bourne

À l’instar de Metro Boomin, Pi’erre Bourne vient lui aussi d’Atlanta, mais ce que ne dit pas cet ancrage géographique, c’est comment l’Américain rebat les cartes du hip-hop ces derniers temps, ni comment un producteur d’à peine 26 ans a pu accumuler autant de singles et de collaborations prestigieuses en si peu de temps. On parle quand même d’un mec à la conception de titres tels que Magnolia de Playboi Carti (symbole parfait de ce qu’était le hip-hop en 2017), Baby Girl de 21 Savage, No Clue de Young Nudy et Lil Yachty, ou encore l’étrange Bbbrownhoallydayboyz Bannedfromsouthamerica de Jorrdee.

Forcément, ça commence à peser sur le CV, et les MC venus de toute l’Amérique le courtisent désormais. À l’image de Drake, tombé sous le charme de ses beats organiques et de sa maîtrise de la flûte (une obsession américaine depuis Mask Off, visiblement !), mais aussi Travis Scott et Kanye West, pour qui il a produit On God sur son dernier album. À croire que, lui aussi, est peut-être touché par la grâce de Dieu.

WondaGurl

Au sein d’une décennie où les voix féminines se sont faites entendre, il était finalement logique qu’une productrice émerge et fasse son trou. Elle n’est pas la seule, Syd a également montré de vrais talents de production, mais tout même : là, on parle d’une artiste qui n’était même pas née lorsque 2Pac est décédé et qui a déjà travaillé avec les plus grands - pas toujours sur leurs meilleurs morceaux, mais ça compte, particulièrement quand il s’agit ici de Drake, Young Thug ou Jay-Z.

Surtout, la Canadienne (Ebony Oshunrinde, de son vrai nom) sait composer des tubes. Des vrais, de ceux qui restent en tête et marquent leur époque : Bitch Better Have My Money de Rihanna ou Antidote de Travis Scott. « Je rêve de dominer complétement le game, un peu à la façon de Timbaland », s’enthousiasmait-elle chez The Fader. À 20 ans, il est sans doute encore un peu tôt pour l’imaginer à la tête d’un tel empire, mais son style, à la fois industriel et psyché, lui donne au moins l’opportunité d’y croire. Sa compilation réalisée cette année aux côtés de MC francophones (Népal, Nemir, Luidji...) également.

Seezy

De Seezy, on sait désormais l’importance et l’exigence de sa collaboration avec Vald, réellement effective depuis « Xeu » et sublimée sur « Ce monde est cruel », paru cette année. Sauf que le producteur, qui s'est fait connaître via un type de beat de Booba et bosse en moyenne deux prods par jour, a bien d’autres arguments à faire valoir. Musique nègre de Kery James, c’est lui. Cache-Cache de Columbine et Laisse pas traîner ton fils de Ninho, c'est encore lui. Oskur de Dinos, extrait de l'impressionnant « Taciturne » ? Toujours lui. Bref, si un producteur français devait symboliser la fin de cette décennie, Seezy, biberonné au son de Machine Head ou Iron Maiden, en serait le parfait porte-parole.

Samy Osta

En 2017, on parlait de Samy Osta et on louait son exigence, perceptible à l'écoute des morceaux produits pour La Femme et Feu! Chatterton. Au moment de faire le bilan, force est de constater que le producteur, qui a depuis élargi son CV (Rover, BB Brunes, Juniore, etc.) et se dit admiratif du travail de Phil Spector, a largement contribué au retour de cette fameuse scène pop en France. Celle qui puise autant ses références dans les décennies passées que dans les musiques électroniques et la matière rock. Sans jamais se limiter : « J'ai l'intention de donner de nouvelles couleurs au rap », confessait-il récemment aux Inrocks.

Steve Lacy

De Steve Lacy, on a tendance à imaginer qu'il n'est que le simple bassiste de The Internet, un mec un peu nerd, un peu barré et un peu sensible, tout juste bon (ce qui est déjà énorme) à mettre en son des ritournelles de R'n'B à faire fondre en larmes les durs à cuire. Erreur ! L'Américain est avant tout un producteur de grand talent, capable de sauter d'un style à l'autre en tutoyant perpétuellement la même excellence : quel rapport, après tout, entre « Ego Death » de The Internet et Just A Stranger de Kali Uchis, entre « Negro Swan » de Blood Orange et Flower Moon de Vampire Weekend ?

Cerise sur le gâteau : Steve Lacy a également produit Pride de Kendrick Lamar en 2017, ce qui reste à ce jour son titre le plus populaire. Qui est né ainsi : « Le morceau que j’ai produit pour lui vient d’une session acoustique enregistrée sur mon iPhone, racontait-il à Yard. J’ai fait écouter à Anna Wise [proche collaboratrice de Kendrick, ndlr] comment enregistrer sa voix dessus sur ce riff de guitare et un petit loop de batterie […]. Kendrick l’a entendu et m’a dit : “Yo donne-moi ton numéro, je veux ça.” […] Il l’a adoré. Quand je l’ai recontacté, il m’a dit qu’il avait terminé l’album, je lui ai demandé le tracklist, il m’a répondu “LOL” avec un émoji. » Sans prise de tête, donc.

Greg Wells

Depuis l'Amérique du Nord, ce Canadien produit à l'abri des regards une pop musique dite « commerciale ». Forcément sans âme, pour certains. Forcément moins vénérable que celle issue des courants alternatifs, pour d'autres. Sauf que cette frontière entre mainstream et underground n'a plus de raisons d'être, et Greg Wells, à l'instar de Max Martin, n'y est sans doute pas pour rien.

Là, on parle quand même d'un mec qui a vendu plus de 125 millions d'albums et assuré la production d'albums pour Ariana Grande, Katy Perry (Teenage Dream), Dua Lipa, Adele, Twenty One Pilots ou même le dernier (trop) long-format de Céline Dion. Qu'on aime ou pas, force est d'admettre que c'est aussi ça le son de la décennie.

Myth Syzer

Oui, on est un peu chauvin, et oui, on a envie de terminer ce papier avec un producteur français. Ça aurait tout aussi pu tomber sur Eazy Dew (sincèrement merci pour ce qui a été accompli avec Josman !) ou Ikaz Boi, mais Myth Syzer a été encore un cran au-dessus ces dernières années. Que ce soit avec Bon Gamin, en version pop lorsqu’il est en solo ou derrière les prods d’Ichon, Hamza, Jazzy Bazz ou Damso, le Parisien fait preuve d’une polyvalence rare et séduit à chaque fois.

Le mec a quand même balancé un titre reprenant Lait de coco de Maya sans que personne ne trouve quoi que ce soit à redire, si ce n’est que l’on tient avec Coco Love un meilleur tube pop que ceux proposés par des artistes qui, quoi qu’ils fassent, seront adoubés par la presse spécialisée (Lou Doillon, Calypso Valois, on pense à vous !).