La musique, le véritable amour de Spike Lee

Président du Jury de la 74ème édition de Cannes, le cinéaste américain n'a pas seulement réalisé quelques films cultes. On lui doit aussi des collaborations avec Public Enemy, Stevie Wonder ou Michael Jackson.
  • Il y a quelque chose de particulièrement injuste à ne voir en Spike Lee qu’un réalisateur des relations raciales. Tout, dans son cinéma, trahit en effet un rapport particulier à la musique, une approche du son probablement héritée de son père, Ben Lee, ancien bassiste pour Aretha Franklin ou Bob Dylan.

    Les exemples abondent : Il y a Summer Of Sam qui traite des frictions entre deux communautés (le disco et le punk) ; il y a ce groupe fictif créé pour les besoins de The Very Back Show (Maus-Maus, avec Mos Def en leader) ; il y a Mo' Better Blues qui devait s'appeler à l'origine A Love Supreme (oui oui, comme l'album culte de John Coltrane) ; il y a aussi les BO confiées à différents cadors de la Great Black Music -  Stevie Wonder pour Jungle Fever, Prince pour Girl 6 ou encore Public Enemy pour He Got Game.

    La rencontre avec la formation de Chuck D constitue un véritable point de bascule dans l'œuvre de Spike Lee. En 1988, il réalise Do The Right Thing et sent bien qu'il a besoin d'un brûlot pour dynamiter son film. « Dès que j'ai écrit le scénario, je savais que j'allais avoir besoin d'un hymne, une chanson très violente qui accompagnerait Radio Raheem, déclarait-il un an plus tard aux Cahiers du Cinéma. Dès qu'on voyait Radio Raheem, il fallait entendre ce morceau à plein tube. Et le choix de Public Enemy était le meilleur possible. »

    Do The Right Thing devient un monument, un classique tellement salué par la presse et le grand public que le crew new-yorkais et Spike Lee ont illico envie de renouveler l’expérience. Dans la foulée, le clip de Fight The Power, écrit spécialement pour Do The Right Thing, apparaît sur les écrans et se veut encore plus représentatif de la lutte des Afro-Américains, tel une sorte de trait d’union entre le combat de Martin Luther King, les Black Panthers et le mouvement Black Lives Matter.

    Interpeller le spectateur, le confronter à des vérités trop longtemps masquées, telle semble être l'ambition de Spike Lee. C'était déjà le cas avec les clips réalisés pour Grandmaster Flash, Prince ou Naughty By Nature. Ça l’est de nouveau en 1996, lorsque l'Américain réalise les deux clips de They Don't Care About Us de Michael Jackson : l'un tourné en prison et interdit de diffusion sur MTV en journée ; l'autre réalisé au beau milieu des favelas de Rio de Janeiro.

    C'est là toute l’intelligence du cinéma de Spike Lee : avoir toujours su accompagner les mouvements sociaux, assumer ses choix esthétiques (le jazz sur ses quatre premiers longs-métrages, avec des BO confiées à son père) et placer de subtils clins d'œils à d'autres œuvres. À l'image de ce qu'il développe dans la série Nola Darling n’en fait qu’à sa tête, où sont mises en scène différentes pochettes d’albums.

    Dire que tout est génial serait mentir (la preuve avec Headlights, le clip réalisé pour Eminem en 2014), mais le cinéma de Spike Lee, c'est aussi une certaine élégance, un sens de la mise en son perceptible dans ses génériques, presque systématiquement immersifs (merci au trompettiste Terrence Blanchard, son éternel complice !), référencés et joueurs. Comme à la fin de Jungle Fever, où l’on a presque l’impression de pouvoir entamer un karaoké à l’écoute du Feeding Off The Love of The Land de Stevie Wonder. À croire que, oui, Spike Lee fait toujours les bons choix.

    Retrouvez le festival de Cannes et la cérémonie en direct et en clair sur CANAL+, partenaire officiel du Festival du Film de Cannes du 6 au 17 juillet 2021.