74 ans au service du rock : voici l'histoire du "Melody Maker"

C'est sans contexte l’un des titres qui a le plus inspiré la profession. Pendant plus de sept décennies, le journal devenu magazine Melody Maker  aura brillé par sa curiosité et son flair jusqu’à sa mort programmée à l’orée du nouveau millénaire. En 74 ans, ses journalistes ont conté des milliers d’histoires, sur le jazz, le rock, la pop et plus si affinités. Plus de 20 ans après sa disparition, on vous raconte la sienne.
  • C’est l’histoire d’un duel fratricide, dont le plus jeune frère est sorti vainqueur. Nous sommes en décembre 2000. Les fêtes approchent et les foyers se préparent à se réunir. À quelques jours du grand moment, le couperet tombe. La presse hexagonale est formelle : « le Melody Maker, célèbre hebdomadaire musical anglais, fermera ses portes après son édition de Noël, 74 ans après son lancement […]. L’équipe du Melody Maker devrait fusionner avec celle du New Musical Express (NME). » Rivaux au sein du même groupe de presse IPC et en compétition depuis presque 50 ans, le cadet NME fondé en 1952 a finalement pris la tête du Melody Maker aîné, apparu lui en 1926. Une victoire qui porte en elle une symbolique puissante : les jeunes branchés ont balayé les vieux rockers. 

    Lorsque le grand frère a vu le jour, il fut le premier journal à se concentrer sur la musique. Dans l’entre-deux-guerres, c’est le jazz qui a la cote. Logiquement, il se passionne pour le genre en réalisant une prouesse : ses articles intéressent autant les néophytes que les avertis. Au fur et à mesure que le temps passe, on retrouve dans ses pages des longs papiers consacrés à Duke Ellington, Louis Armstrong, puis Miles Davis, tout juste auteur de son chef-d’œuvre « Kind of Blue » (1959). Après le jazz vient le rock. Le Maker s’engouffre dans cette brèche, sans encore savoir qu’avec cette musique, il liera une relation unique. 

    L'Angleterre des années 60 à son lot de groupes émergents. Avant qu’il ne plonge dans le psychédélisme de la décennie 70, le Melody enchaîne les couvertures sur les Beatles. Presque chaque membre aura le droit à sa trombine figée en une ; à juste titre, nous répondrez-vous. Les Rolling Stones passeront évidemment par là. Vu du futur, c’est-à-dire 60 ans après, difficile de cerner la touche visionnaire du journal, pourtant…

    Ce flair qui caractérise le Melody Maker séduit énormément d’Anglais. Dans cet article du Guardian, on apprend que pendant les seventies, pas moins de 250 000 exemplaires étaient vendus chaque mois. Le journal a le vent en poupe, il parle des Who, de Genesis... rien ne semble pouvoir le détrôner, pas même l’arrivée de la concurrence symbolisée à ce moment-là par le tout neuf Sounds. Rappelons tout de même qu’en parallèle, la maison mère IPC a donné naissance au New Musical Express. S’il était jusqu’ici tapi dans l’ombre de son grand frère, son heure arrive bientôt. 

    Avec l’arrivée fracassante du punk, NME tente une première fois de doubler son aîné. Sex Pistols, Buzzcocks, Ramones… Les couv’ fusent, mais le Maker tient bon. Au début des années 80, pour contrer ces attaques, le Melody riposte en parlant de la pop, un genre auquel il essaye de s’adapter. Mais finalement, qu’importe, son dada c’est le rock. Alors quand les Smiths de Morrissey ou les Cure de Robert Smith débarquent, ni une ni deux, ils font l’objet de longs papiers. Pareil avec U2, ce petit band qui débute. Quid de REM ? Figé dans les pages du Maker.

    Le journal semble prêt à attaquer la décennie 90 et son lot de nouveautés. Dans la rédaction, ça s’active : « il paraît qu’un courant se nommant le grunge est en train de tout casser à Seattle… » Dès 1992, Kurt Cobain, leader de Nirvana, est invité à se raconter dans le journal. « Attendez, chez nous aussi ça bouge ! On parlerait de britpop ? ». Pas de souci, pourquoi pas de Blur alors, la formation de Damon Albarn sera parfaite pour entériner cette nouvelle mouvance. « On le met en une  ! ». Soit dit en passant, en 1993, les journalistes fustigent un jeune duo français de passage en Angleterre. Il s’agit des Darlin’ qu’ils qualifient de « daft punky thrash ». Les Frenchies en question se serviront de cette chronique acerbe pour leur nouveau nom de scène. Ils deviendront les Daft Punk.

    En réalité, cette tendance à la suivre est un pansement. Les lecteurs du Melody Maker ont vieilli et le journal peine à attirer les plus jeunes. Puis le changement de ligne éditoriale — beaucoup plus mainstream — ne plaît pas aux habitués, d’autant plus qu’il loupe le virage des musiques électroniques. Ça se ressent sur les ventes et le NME prend la tête. Pour pallier ça, le Maker se refait une beauté. De journal, il passe à un format A4 en papier glacé qui lui permet enfin de se distinguer de son jumeau. Mais le mal est fait.

    À côté de ça, le secteur de la presse spécialisée est en crise. C’est ce qu'analyse dans cet article du Guardian, le directeur d’IPC, Mike Soutar : « [le groupe de presse] Emap a par exemple annoncé la fin de Select Magazine. La preuve que le marché des mensuels de musique rock indépendant devient aussi compétitif et dur que le marché des hebdos ». Toujours dans les lignes du papier, on apprend que pour les 6 premiers mois de l’année 2000, le Maker a perdu « 21 % de ses ventes ». Pour contrer cette compétitivité qui s’exprime avec la multiplication des titres, IPC fait le choix de fusionner Melody Maker et NME. Le second étant plus attractif que le premier, c’est le nom « NME » qui restera.

    Il faut croire que ce duel fratricide était nécessaire. Depuis cette union forcée, ce NME prisé par les kids aura continué sa version papier jusqu’en mars 2018. Date à laquelle il deviendra consultable exclusivement en ligne.

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