Le jour où NTM a lancé “Authentik”, son propre magazine

C’est une info qui n’apparaît pas dans le film « Suprêmes », en salles aujourd’hui : en 1998, Kool Shen et JoeyStarr ont été à la tête de leur propre magazine, « Authentik ». Ça a duré trois numéros, écoulés à 150 000 exemplaires chacun, et ça témoignait d’un journalisme aussi libre qu'« interdit aux bâtards ».
  • L’anecdote est connue, mais elle mérite d’être racontée une nouvelle fois : en 1998, au moment de la sortie de « Suprême NTM », les chiffres de ventes sont tellement élevés (40 000 exemplaires vendus le premier jour, 100 000 en précommande) que le quatrième album de NTM se hisse au sommet des charts français, détrônant au passage la BO de Titanic. Ce qu’il en reste ? Un slogan, floqué sur diverses affiches : « Titanic Ta Mère, NTM N°1 du Top Albums ».

    À l’époque, l’impact de Kool Shen et JoeyStarr est si fort que le chef de projet de « Suprême NTM » (Vrej Minassian) et leur ex-manager (Nicolas Cardone), ont la bonne idée de lancer le magazine du groupe. Beastie Boys a fait de même avec Grand Royal, qui parlait aussi bien de hip-hop que de cinéma ou de sport, et sans doute se disent-ils qu’il y a un coup à réaliser avec Authentik, piloté par Sear, le créateur de « l'ultime fanzine hip-hop » : Get Busy.

    La vérité, c’est que Kool Shen et JoeyStarr ne voulaient plus faire d’interviews. Ils n’étaient pas satisfaits par la presse spécialisée, et en avaient assez que les médias généralistes les questionnent uniquement sur les banlieues ou la violence du rap. Authentik incarne ainsi un excellent moyen de parler de NTM (le temps d’une interview), mais surtout d’aller à la rencontre d’autres personnalités, issues du rap ou non.

    « À chaque fois qu’on allait faire des interviews, un des membres de NTM était là, souvent Joey, détaille le photographe Armen Djerrahian dans Get Busy : L’anthologie. On se greffait sur ces voyages officiels organisés par les maisons de disques, on se retrouvait avec toute la presse du rap français. T’avais tous les journalistes, et puis t’avais Joey à qui tu ne disais pas : “T’as un quart d’heure pour interviewer Mary J.Blige” ».

    C’est ainsi que Sear et JoeyStarr se retrouvent à discuter pendant trois heures avec Eric Raoult au siège du RPR, à tailler le bout de gras dans un déluge de bières et de rhums avec Benoit Poelvoorde, tandis que l'actrice X Julia Channel dissuade le petit frère du Double R de se lancer dans le porno et que Dieudonné emmène tout ce beau monde dans une cité de Dreux où l’ambiance est électrique. « L’idée de ce fourre-tout hétéroclite, déconnant et pourtant cohérent plaît, peut-on lire dans l'anthologie. Et, devant le succès de ce gratuit distribué chez tous les disquaires, naît l’idée d’un deuxième puis d’un troisième ».

    Le ton est acerbe, moqueur (surtout envers MC Solaar et Mathieu Kassovitz, surnommé pour l'occasion « Ma queue face aux bitches »), et assure le succès du magazine. En trois jours, le premier numéro d’Authentik s’est en effet écoulé à 150 000 exemplaires. La Fnac appelle alors l’équipe pour savoir si elle compte en faire un deuxième, distribué cette fois à la fin des concerts de NTM, tandis que le troisième sera édité en février 2000, en parallèle à la sortie du DVD Authentiques - Un an avec le Suprême, réalisé par Sear et Alain Chabat. Pour ce troisième numéro, le magazine de NTM frappe fort avec une couv’ où l’on voit les marionnettes de Kool Shen et JoeyStarr, qui viennent alors de faire leur entrer aux Guignols de l’info.

    « Joey a beaucoup participé à Authentik, explique Nicolas Cardone, toujours dans l’anthologie. Pour lui, c’était la récréation alors que la promo, c’est chiant ». Il faut dire que le casting des trois numéros est impressionnant, et laisse imaginer les longues discussions qui ont dû naître entre NTM, Sear et leurs invités : outre Dieudonné et Poelvoorde, Ice-T, Jean-Yves Lafesse, Jamel, Albert Dupontel et même Casimir ont répondu à l’appel, annonçant avec brio le virage sociétal de Get Busy, que Sear relance en ayant en tête le modèle éditorial d’Authentik

    Un magazine qui, derrière ses veilléités promotionnelles, se voulait extrêmement ambitieux, portés par deux rappeurs au sommet de leur art, mais voué à disparaître à cause des tensions entre ces deux mêmes artistes, devenus ingérables.