2020 M11 25
À la fin des années 1980, nombreux sont ceux qui comparent NTM à Public Enemy, ce qui en dit long sur le niveau de frénésie, de nervosité et d’urgence politique des morceaux de JoeyStarr et Kool Shen. À l’époque, il n’y en a pourtant pas beaucoup à se mettre sous la dent : Dur comme un roc n’est jamais sorti, Je rap est paru sur une compilation (« Rapattitude ») et il faut attendre Le monde de demain pour enfin entendre ce que ces p’tits gars de la Seine-Saint-Denis ont sous leur fat laces.
En gros ? De l’énergie à revendre, un flow rapide, impossible à canaliser, et une vision presque anarchiste du monde alentour : « Plus question de laisser passer en attendant que ça s'arrange », rappe Kool Shen, sans doute en réaction à la montée du Front National depuis le début des années 1980 - et aussi, probablement, en écho aux émeutes qui agitent alors Vaulx-en-Velin, en banlieue lyonnaise, où un jeune homme vient d’être percuté par une voiture de police.
Musicalement, la production est à l’avenant : le rythme est soutenu, le beat nerveux et doit beaucoup à cette boucle extraite par DJ S du ‘T’ Stands For Trouble de Marvin Gaye, même pas inquiet que le même morceau ait déjà été samplé quelques mois plus tôt par IAM. Dans le livre NTM : dans la fièvre du Suprême, publié aux éditions Le Mot et le Reste, on apprend d’ailleurs que c’est bel et bien ce sample qui va précipiter la signature de NTM chez EMI. Après avoir décliné l’offre de Polydor, qui voulait faire du duo les paroliers de MC Solaar, JoeyStarr et Kool Shen n’ont plus le choix.
« On a signé chez EMI, mais pas par hasard, car on a utilisé un sample de Marvin Gaye dont on n’avait pas demandé l’autorisation, se souvient Philippe Puydauby, directeur artistique chez Epic Records, au sein du livre de Vincent Piolet et Pierre-Jean Cléraux. Je me rappelle leur avoir dit que si on devait aller en édition, il faudrat signer avec la maison qui avait le sample de Marvin Gaye. […] Il fallait éviter un procès. »
Dans la foulée, Le monde de demain se retrouve brièvement playlisté sur NRJ, au grand étonnement du patron de la radio en personne, qui réagit et exige de retirer illico ce morceau. Le rap a mauvaise presse, le nom NTM n’aide pas vraiment à faire tomber les clichés, et c’est à la fois dommage et incompréhensible. Dommage car JoeyStarr et Kool Shen, bien que marginaux, travaillent alors en étroite collaboration avec l'avant-garde parisienne. Il y a Jean-Baptiste Mondino qui, pour les besoins du verso de la pochette, refile gratuitement quelques-uns de ses clichés (le geste est à souligner) ; il y a Stéphane Sednaoui (photographe et futur réalisateur de clips pour U2, Björk ou les Red Hot Chili Peppers), qui est engagé à la réalisation du clip, après que JoeyStarr l’a repéré dans une publicité pour des camarguaises, persuadé que l’esthétique léchée de l’ex-mannequin pourrait contraster avec la rage du groupe ; il y a Jean-Paul Gaultier qui offre quelques tenues dans l’idée de sublimer les images ; enfin, il y a Mode 2 et Kea, à l’origine des graffs visibles sur la pochette du single.
Incompréhensible car, quelques semaines après la sortie du Monde de demain, c’est toute une génération qui entre dans une nouvelle ère. Dès 1991, les premiers vrais albums de rap français paraissent : « ... de la planète Mars » d'IAM, « Qui sème le vent récolte le tempo » de MC Solaar et, forcément, « Authentik » de NTM, tous prêts à faire la nique à la musique de France. Comme le souligne avec un sourire malicieux JoeyStarr, sur le plateau de Mon Zénith à moi : « Musicalement, notre raison d’être c’est de contrer la variet’. »