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Le Sud des États-Unis comporte plusieurs épicentres musicaux où des séismes ont secoué la musique du monde entier : la Nouvelle-Orléans, Memphis, Nashville ou Atlanta. Et à cette liste s’ajoute Muscle Shoals, dans l’Alabama, où est né le studio FAME (pour Florence Alabama Music Enterprises, du nom de la ville voisine de Florence). C’est là qu’a été forgé le Muscle Shoals Sound, une soul musclée, portée par des cuivres puissants et une rythmique groovy. En plus d’être derrière de grand tubes de la soul, FAME a aussi eu une influence majeure sur l’évolution de la funk. Et tout ceci est avant tout dû à une personne : Rick Hall.
Issu d’une famille pauvre, il se passionne très vite pour la musique, qu’il pratique en parallèle de jobs alimentaires. En 1957, sa femme et son père meurent brutalement coup sur coup, le laissant dans un profond désarroi. Il s’en relève deux ans plus tard en fondant FAME, d’abord installé au-dessus d’une pharmacie. En parallèle, il s’était découvert une passion pour le songwriting et la production, signant notamment un petit succès pour Roy Orbison. Sa principale influence est d’ailleurs le producteur de ce dernier, Sam Philips, fondateur du légendaire label Sun Records. « Je voulais être comme Sam. Je voulais être quelqu’un de spécial » racontera plus tard Hall.
En 1961, il décroche son premier succès avec You Better Move On d’Arthur Alexander. Les profits lui permettent de créer le studio d’enregistrement de ses rêves. Le premier morceau qu’il y enregistre, Steal Away de Jimmy Hughes, en 1964, est d’emblée un succès. Deux ans plus tard, il réalise même un tube majeur de la soul, When A Man Loves A Woman, de Percy Sledge. Hall passe alors un accord avec le label Atlantic, qui envoie ses meilleurs artistes y enregistrer. Otis Redding ou Arthur Conley y viennent, Wilson Pickett y prend ses habitudes, et même les Rolling Stones seront de passage.
Surtout, une toute jeune Aretha Franklin vient y lancer sa carrière. Bloquée dans un répertoire jazz, elle signe chez Atlantic, et développe un style jazz bien plus puissant auprès de l’orchestre maison de FAME. C'est le premier pas vers son style dynamique qui va faire sa carrière. Si elle décrit cette session comme un tournant dans sa carrière, Hall en garde un souvenir bien plus amer. Car en parallèle, le producteur s’entend très mal avec le mari et manager de la chanteuse, jusqu’à en venir aux mains. Ce qui met fin à son partenariat avec Atlantic.
Hall ne se laisse pas abattre. Il signe des accords avec le label Chess, essentiel dans l’essor du rock’n’roll, et produit la chanteuse Etta James. S’ensuit un partenariat avec Capitol Records.
Si FAME rassure à ce point, c’est avant tout grâce aux musiciens de studio, formant le Muscle Shoals Horns et la Muscle Shoals Rhythm Section. Ces derniers, également nommés "Swampers", sont même cités dans Sweet Home Alabama de Lynyrd Skynrd. Ils forment ainsi un groupe solide, cohérent, et immédiatement identifiable. Le studio a également pu compter sur le talent du guitariste Duane Allmann, qui, selon la légende, avait installé sa tante à côté du studio pour assister aux séances et obtenir son poste. À cela il faut ajouter le talent de producteur de Rick Hall, en particulier sur le mixage, toujours effectué méticuleusement.
En 1969, pourtant, l’ensemble de la Rhythm Section quitte FAME, pour fonder leur propre studio concurrent dans la même ville. Ils attirent ainsi Joe Cocker, Bobby Womack, Ry Cooder, James Brown, Santana et bien d’autres. Plus tard, la même chose se produit avec un pianiste de FAME, qui passe un accord avec la Motown pour enregistrer les Commodores ou les Temptations. Là encore, Rick Hall reste frais. En 1970, il est nommé aux Grammy, et l’année suivante, le magazine le consacre comme meilleur producteur de l’année.
Durant les années suivantes, l’âge d’or de la soul s’estompe, et FAME se consacre à des artistes pop comme Paul Anka ou Tom Jones. Puis à partir des années 90, Hall se consacre surtout à des musiciens de country, sa grande passion. Mais le studio n’interrompt jamais son activité, pas même après la mort du producteur en janvier 2018, à l’âge de 85 ans. Si le studio survit avant tout grâce à son aspect patrimonial, il attire également de jeunes artistes en quête de sons vintage, dont Demi Lovato ou Alicia Keys.
Ceci ne fait que confirmer l’aura incroyable qui entoure Rick Hall. Au-delà de la qualité de la musique produite dans son studio, il a surtout incarné un point de rencontre essentiel entre musiques blanches et noires dans un état particulièrement ségrégationniste. « C’était une époque dangereuse » raconte Hall en 2016. « Mais le studio était un havre tranquille, où noirs et blancs pouvaient travailler ensemble en harmonie. » Plus qu’un studio musical important, FAME représente ainsi une véritable utopie artistique.
Pour plus d'infos sur le studio, c'est par ici.