L’histoire floue de la pochette du "Sign O The Times" de Prince

Dans les années 80, Prince semble au sommet de son art. Mais la situation est complexe, son second film est un échec cuisant, il renvoie son groupe The Revolution ; puis sort finalement en 1987 l’album « Sign O The Times », album très ambitieux qui prouve que le chanteur n’a rien perdu de sa maîtrise. Et bien sûr, tout ceci est transmis dès la pochette.
  • Après l’incroyable succès de « Purple Rain » en 1984, Prince est carrément devenu inarrêtable. Mais son film suivant, Under The Cherry Moon, est un fiasco, et l’album qui l’accompagne, "Parade", est une déception en termes de ventes. Les tensions montent, Prince finit par renvoyer tout son groupe, The Revolution, et produit de la musique à un rythme effréné. Il envisage même de sortir un triple album, ce que Warner, sa maison de disque, refuse. Le chanteur arrive même à mettre un autre album de côté (« Camille ») avant d’accoucher de ce retour en solo, « Sign O The Times », basé sur d’anciennes sessions avec The Revolution, remontant jusqu’en 1982. En résulte un disque très varié, et pourtant très cohérent, à la fois minimaliste et groovy, unissant toutes les facettes artistiques du musicien. Bref : un disque voué à devenir culte. Et sa pochette également.

    C’est durant cette même période que le photographe Jeff Katz commence à travailler avec Prince. Il réalisent leur première session dans les coulisses d’Under The Cherry Moon, où Katz shoote la pochette de l’album « Parade ». Soit l’une des plus célèbres photos du monarque de Paisley Park. Katz devient vite le photographe attitré du musicien. Celui-ci est encore relativement rookie (il a débuté sa carrière en 1982), mais il va s'avérer capable de donner forme aux idées du chanteur. « Il avait besoin de quelqu’un avec qui il pouvait partager ses idées » raconte Katz pour Vogue. « Il me donnait des idées, des concepts ésotériques ; il fallait presque lire dans ses pensées. Il me faisait confiance pour comprendre ». Surtout, Katz doit suivre le rythme intense de Prince : « il appelle, et il faut être là », qu’importe l’heure ou l’endroit.

    Il le rejoint donc un jour de 1987 dans un studio d’Eden Prairie, près du futur studio/manoir Paisley Park. « J’arrive, et tout est vide, à part une batterie posée sur l’estrade. » Comme à son habitude, Prince a adopté un nouveau look pour ce disque, dominé par la couleur jaune. « Ce sont ses idées, ses habits ; le style et les accessoires viennent de sa vision du projet, et de lui-même. » Ou, comme il le résume pour Rolling Stone : « j’étais la lentille qui captait l’image qu’il voulait renvoyer au monde ».

    Reflet du projet purement solo de Prince, les deux artistes sont entièrement seuls durant la séance. Ils créent ce décor, sachant qu’aucune retouche ne sera possible. « Il n’y a aucun trucage, aucun collage. Tout est fait à l’ancienne », en manipulant objets et accessoires. Ils fabriquent donc ce décor foutraque, qui « reflétait la variété de styles et de dynamiques de la musique ».

    Et dans la pure tradition inattendue de Prince, la pochette elle-même arrive subitement en fin de séance. « On avait pratiquement fini, et il y avait cette boîte de pommes devant l’appareil photo. Il s’est approché de moi, avec un sourire en coin, s’est assis sur la boîte, juste en face de mon objectif, et j’ai pris la photo. Sans même la regarder, il a ri et dit ‘c’est la pochette’ ». Intuition du moment et totale maîtrise : c’est toute la richesse de Prince captée en un seul moment. Alors qu’on le voit à peine, et flou, la personnalité du chanteur transpire sur chaque partie de la photographie.