2022 M11 24
Selon Abbas Nawrozzadeh, un avocat interviewé par Vice, il s’agit de « l'une des plus grandes opérations d'infiltration de ces dernières années à Londres ». Et cette histoire implique des flics en civil, un disquaire, une enveloppe de 500 000 livres sterling et l’arrestation de 35 personnes, majoritairement des hommes noirs âgés entre 16 et 41 ans. On rembobine.
En 2008, un nouveau lieu ouvre à Edmonton, dans le nord de la capitale anglaise. Son nom ? Boombox. C’est un disquaire spécialisé dans le hip-hop. À l’arrière, il y a même un petit studio. Rapidement, les jeunes du coin se mettent à traîner là-bas et commencent à copiner avec le staff. Sauf que Fish, le manager, Amanda, la réceptionniste ou encore Tyrone ne sont pas vraiment des passionnés de musique. Ce sont des policiers infiltrés. Et ils ne sont pas ici pour mettre le grime à l’honneur, mais pour une autre mission qui n’a rien à voir avec la musique : contrôler la montée des violences et la criminalité dans le quartier. Boombox est une façade pour une opération beaucoup plus large, baptisé « Peyzac » et initiée par la police de Londres (la Metropolitan Police). Comme l’indique Vice dans une récente enquête sur cette affaire, entre janvier et juillet 2008, cinq jeunes ont été tués dans le quartier. Ils avaient entre 16 et 24 ans. D'où la mise en place d'une opération pour atténuer les tensions.
North London hip-hop record store Boombox was run by undercover officers as part of a sting operation called Operation Peyzac. New story from @niche_t_ and me, for @VICEUK https://t.co/Vft311cckx
— Camilla Patini (@camillapatini) November 22, 2022
D’après Vice, les policiers sur cette affaire faisaient partie des meilleurs. Ils ont été entraînés en amont pour que leur couverture soit la plus solide possible, et qu’ils puissent véritablement parler musique avec les clients. Les jeunes du coin y voient une opportunité d’enregistrer leur propre musique et font confiance aux employés de Boombox. La supercherie fonctionne. Les policiers en civil, qui avaient placé des caméras de surveillance un peu partout, demandaient alors aux jeunes des petits services, comme les aider à trouver des stupéfiants (héroïne, cocaïne, crystal meth, etc.) voire même des armes à feu. Sans se douter qu’ils ont devant eux des officiers, les clients du magasin font jouer leur relation. Et c’est de cette manière que les flics ont commencé à monter des dossiers sur plusieurs habitués de la boutique, qui est restée ouverte durant un an.
Le 21 avril 2010, 652 policiers sont mobilisés pour mener 35 arrestations différentes, à Londres mais aussi à Leeds dans le nord du pays. « Ils ont découvert des cachettes d'armes à feu et de drogues ainsi que des épées, des couteaux, un pistolet paralysant et des bombes lacrymogènes », écrit Vice. Au total, 35 hommes sont arrêtés et condamnés pour des infractions allant du trafic de drogue au trafic d’armes. Selon la police, 30 appartenaient à un gang.
Des avocats de la défense ont considéré que certains des accusés avaient été piégés, voire même menacés, pour qu'ils commettent ces infractions. Des actes qu’ils n’auraient pas commis autrement. « Essentiellement, ces infractions ont été fabriquées par la police », assure à Vice Abbas Nawrozzadeh, qui a défendu l’un des accusés âgé de 19 ans. Le Guardian écrit même dans un article que la « police a été accusée d'inciter les jeunes à commettre des délits ». Du côté de la police, on estime que les actes des officiers (comme autoriser les clients à fumer du cannabis dans le studio, leur donner de l’alcool, des cigarettes, etc.) faisaient partie de la couverture. Les agents ont même reçu les honneurs spéciaux pour leur « travail de police exceptionnel ». Et l'affaire « Peyzac » est considérée comme l'une des opérations secrètes les plus « innovantes et les plus réussies menées par la police de Londres ». Ceci étant dit, il n’y a pas d’études prouvant que ces opérations sont bénéfiques ou qu’elles permettent réellement de lutter contre la criminalité. Selon le Daily Mail, dans les zones concernés par les arrestations, elle aurait baissé l'année suivante, en 2011.
Au final, les accusés ont écopé pour la plupart de peines de prison différentes en fonction de la gravité des faits reprochés. Rob Murray, qui dirigeait l'opération au jour le jour, a déclaré au Daily Mail en 2016 à propos des arrestations : « Je pense que quelques carrières musicales potentielles ont été mises en attente pendant un certain temps ». Si cette affaire renvoie à une image étonnée du rap et donne une impression en demi-teinte du travail de la police, elle renforce aussi l’idée que les personnes impliquées dans cette sphère sont des voyous. Et c’est dommage quand on parle du style musical le plus populaire du moment.