L’histoire de Skyrock : comment le rap est devenu la nouvelle variété française

Ou comment une radio privée fondée en 1986 a attendu dix ans pour s'intéresser au rap pour mieux le populariser (pour certains), le travestir (pour d'autres) et en faire la musique la plus écoutée aujourd’hui en France.
  • Choisir son camp. Au quotidien, il y a ceux qui préfèrent les Beatles aux Rolling Stones, Cristiano Ronaldo à Messi, le rap underground à celui défendu par Skyrock. Deux visions de vie, donc, qui donnent régulièrement naissance à de violents débats, foncièrement clivants. Dans le hip-hop, par exemple, les anti-Skyrock n’hésitent pas à se montrer véhéments. Et les rappeurs en premier lieu : Booba, Médine, Disiz, Assassin ou encore Kery James, tous se sont opposés à la radio qui se dit « première sur le rap ».

    Opportun. Il faut dire que l’intérêt de Skyrock pour le rap est avant tout né par opportunisme. On est alors en 1996 et une loi sur les quotas impose aux radios privées de diffuser un minimum de 40% de chansons d’expression française. Laurent Bouneau, bien conscient du phénomène qui est sur le point de se populariser, mise tout sur le hip-hop et se donne le beau rôle. Dans son autobiographie (Le rap est la musique préférée des Français), le directeur des programmes de la radio se fait même vantard : « On peut dire que nous avons contribué à populariser, développer et vitaliser la scène rap française. »

    Divertir. Au cours des années 1990 et 2000, Skyrock réussit en effet quelques jolis coups : la première édition d’Urban Peace au Stade de France le 21 septembre 2002, la médiatisation de quelques gros noms du rap français (Sniper, Diam’s) et la mise en place d'émissions cultes (Planète Rap, redevenue populaire ces dernières années, Couvre Feu, désormais chez OKLM Radio, et Sky.B.O.S.S., animée par JoeyStarr himself).

    Le problème est que Skyrock ne parvient plus au cours des années 2000 à masquer ses ambitions commerciales (Pas le temps, éjecté des playlists après un passage de Faf Larage chez NRJ est en cela un cas d'école) et son mépris vis-à-vis de l’avant-garde (ou du moins, de l’underground) : la lutte pour se faire une place dans la playlist se fait de plus en plus rude, Skyrock le sait, et en profite pour ne diffuser que des morceaux qui connaissent déjà un certain écho populaire.

    « Premier sur la variété. » Aujourd'hui, un bref coup d'œil aux titres diffusés de 10h à midi suffit à constater que les tubes playlistés restent à peu près les mêmes que ceux d'autres radios concurrentes : La même de Maître Gims et Vianney, Aya Nakamura de Djadja ou No Tears Left To Cry d'Ariana Grande. L’idée est donc de chercher le hit du moment et de ne programmer qu’un rap (voire R'n'B) taillé pour séduire, dépourvu de messages politiques. Au point d’agacer la plupart des rappeurs, qui savent pourtant qu’ils ne peuvent se passer d’un tel soutien (3,6 millions d'auditeurs quotidien). Comme l’écrivait Nekfeu dans Ma dope : « J’fais pas mon son pour plaire à Laurent Bouneau, mais c’est une victoire quand il est diffusé. »

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