Une interview avec Ponce, la star de Twitch qui lance son label

Il est l’un des visages français les plus populaires de la plateforme de streaming vidéo détenue par Amazon. Mais quand il n’est pas occupé à devenir champion d’Europe sur Mario Kart, Aurélien « Ponce » Gilles partage quotidiennement sa passion de la musique sur Twitch, où il vient de diffuser un concert organisé au Bataclan pour le lancement de son label, Floral Records. Une initiative détonante qui méritait bien quelques explications en interview.
  • Le 7 septembre dernier, quand il sort le clip très soigné de son premier morceau (Floral) et annonce l’organisation d’une "Floral Party", soirée organisée sur la scène du Bataclan avec trois de ses groupes préférés (Cemented Minds, Tip Stevens et Ceylon), Ponce cache une petite surprise à ses viewers.

    La vérité est révélée trois semaines plus tard sur la scène de la salle parisienne, pleine à craquer, où les spectateurs présents sur place et à distance sur Twitch découvrent que cet événement sert en réalité de rampe de lancement à Floral Records, le label de musique sur lequel il travaille depuis le début de l’année.

    Si l’idée colle parfaitement à l’image que l’on se fait de Ponce – il partage ses trouvailles musicales avec ses viewers avant chaque stream dans la Ponce Radio et s’est déjà frotté au sujet ardu du droit d’auteur dans un podcast, qu’est donc allé faire un streamer français aussi important et un passionné de jeux vidéo dans un tel projet ? Comment nous réconcilier avec le plaisir de la découverte musicale et des concerts ? Twitch peut-il sauver l’industrie de la musique ? Voici quelques éléments de réponse avec le Maître des Fleurs.

    Tu es connu comme un streamer passionné de musique. Tu en joues ?

    J’ai commencé la batterie vers 7-8 ans et j’ai joué énormément jusqu’à mes 20 ans. Quand je dis énormément, c’était quasiment tous les jours, j’avais des groupes de musique… Et depuis mes 20 ans (il en a 31 aujourd’hui, ndlr) je ne jouais plus du tout. Sauf depuis un an et demi car j’ai la chance d’avoir une batterie électronique chez moi donc je rejoue de temps à autre. Mais je n’ai pas de routine, c’est quand même assez rare. J’ai dû reprendre parce que je savais que j’allais jouer en concert, donc j’ai été obligé de bosser ! Et c’est le seul instrument dont j’ai vraiment joué sérieusement, à l’exception d’un peu d’alto.

    Ce concert, c’était ta soirée Floral Party au Bataclan, où tu as joué quelques morceaux avec les groupes de ton label lancé ce soir-là. Qu'est-ce que ça fait de jouer de la batterie dans ce cadre ?

    C’était in-croy-able. Un truc de fou. J’avais des bouchons d’oreilles donc je n’entendais pas très bien la foule, mais tu la ressens à travers les vibrations. Et j’ai surtout pu bourriner sur ma batterie sans souci, alors que pendant les répétitions tu y vas tout doux, sinon on ne se s’entend pas et le son est horrible. Je me suis lâché, c’était très agréable, j’ai adoré.

    Comment est venue l’idée d’organiser ce concert au Bataclan ?

    On a pensé que ce serait bien d’annoncer le label en concert pour marquer un petit peu le coup. Et l'un de mes "donation goals" du ZEvent 2021 (événement caritatif organisé sur Twitch, ndlr) consistait à faire un concert avec Tip Stevens. À l’époque, cela n’avait aucun sens car rien n’était fait pour le label, mais finalement c’est parfaitement cohérent puisque Tip Stevens est signé dessus. Donc c’est un mélange entre ce donation goal du ZEvent 2021, l’envie de trouver le moment adapté pour annoncer Floral Records, et puis le besoin de trouver un endroit sympa où programmer pour la première fois nos artistes. Quitte à faire un concert, autant que ce soit dans une belle salle qu’on apprécie, et que cela donne quelque chose d’unique.

    Il y avait une symbolique particulière à choisir cette salle ?

    On y a forcément réfléchi, car on a des proches qui ne sont pas venus parce que le concert était au Bataclan. Mais la salle souffre et on tenait à y aller parce que c’est un endroit mythique aussi. Pour moi il n’y pas eu de débat, mais je sais que cela a été le cas pour certains, qui me disaient que c’était trop compliqué d’organiser le concert là-bas. Et je me suis dit que si on cédait, le Bataclan était mort parce qu’on n’y faisait plus rien. Je suis sincèrement désolé pour les gens qui ne sont pas venus à cause du passif de ce lieu, et il n’y a aucun souci, personne ne peut leur en vouloir pour ça. Mais je ne vais pas éviter cet endroit et m’empêcher d'organiser quelque chose dans une salle aussi mythique que le Bataclan à cause des événements tragiques de 2015. Cela me rendrait trop triste, donc je n’ai pas hésité.

    Tu as dit en stream que les autres salles ont aussi beaucoup ignoré vos mails. Pourquoi, selon toi ?

    Twitch reste un milieu nouveau, qui était vraiment une niche il y a cinq ans. Il l’est beaucoup moins aujourd’hui, mais il le reste quand même un peu. Il y a toujours beaucoup de gens qui ne savent pas de quoi il s'agit ou qui n'en ont qu'une vague idée, donc il y a déjà de la peur de l’inconnu. Et je pense aussi que certaines salles se disent "nous on fait de la musique, on ne fait pas des événements d’Internet ou je ne sais pas quoi". Je peux comprendre aussi cette volonté de garder cette ligne directrice, mais en réalité, ce qu’on proposait, c’était vraiment un concert. Sauf que pour le savoir, il faut ouvrir le mail et commencer à discuter. Je pense qu’il y avait cette difficulté à accepter un événement organisé par un créateur de contenus Internet comme un concert et un véritable moment de musique, au lieu d'une émission ou quoi que ce soit d’autre.

    Vous leur avez donné tort, puisque le concert affichait complet. Financièrement, la soirée a été rentable ?

    Non, on a perdu environ 30 000€. D’abord parce que diffuser un concert en live coûte extrêmement cher. Il faut beaucoup de techniciens. Tout est fait sur le moment, comme la réalisation par exemple, et ce ne sera jamais aussi bien qu’une vidéo montée. Mais cela demande trois cadreurs, un réalisateur, cinq caméras, quelqu'un au son, quelqu'un en live prod… Tout cela n’existe pas si tu ne fais pas de live Twitch. Cela étant, on n’a pas rechigné sur le budget technique. J’ai dit à la régie générale de ne pas se poser la question du coût à chaque fois qu’il y avait besoin de quelque chose, afin de ne pas rencontrer de problèmes par la suite, ni travailler en étant restreint ou en faisant des concessions dommageables pour la qualité de certains aspects du live.

    Tu n’avais aucun partenaire sur la soirée. Est-ce un choix ou une nécessité ?

    Un choix. Quand tu es associé à une marque, tu as évidemment des obligations, cela modifie forcément un peu ton propos, et je n’en avais pas envie. J’avais envie de faire ce qu’on veut, comme on veut. Et c'est tout.

    Du côté des recettes, il y avait aussi beaucoup de tarifs réduits.

    C’est ce qui nous a mis dans le rouge aussi. On a mis en vente 200 places au tarif réduit, et apparemment cela ne se fait pas trop d’après ce que j’ai compris. J’ai un peu insisté quand même pour le proposer parce que je sais que parmi les gens qui nous suivent, il y a des étudiants, des chômeurs, des gens qui galèrent financièrement… Alors forcément, quand tu mets en vente 200 places à 20€ au lieu de 200 places à 35€, le calcul est vite fait : 3000€ de différence.

    Tu as parlé de la jeunesse du public. Dans la salle, beaucoup assistaient au premier concert de leur vie ce soir-là. Quel effet ça te fait ?

    Cela m’a fait plaisir parce qu’apparemment, les gens ont adoré l’expérience. Mais je n'en doutais pas car je sais que ma communauté est très soudée et ouverte à ce que je peux proposer. Dès que je leur propose quelque chose dont je suis fier, ils me font confiance même s’ils ne savent pas trop de quoi il s'agit, et c’est très gratifiant. J’ai aussi eu des retours de gens dont ce n’était pas du tout le premier concert, mais qui m’ont dit "franchement, c’était un des meilleurs concerts que j’ai pu voir". Forcément, il y a l’aspect "streamer" qui change un peu la donne, mais je suis très content que des gens se soient déplacés en concert pour la première fois grâce à cela. Et j’espère que cela leur donnera envie d’aller voir d’autres concerts, après avoir découvert à quel point c’est génial.

    Tu vas reproduire l’expérience de ce concert à l’avenir ?

    Pas en l’état. Après on a des pistes potentielles, comme les festivals qui prêtent parfois une scène à un collectif ou à un label le temps d’une journée ou d’une soirée. Si on arrive à faire quelque chose qui nous plaît, il n’est pas exclu que ce soit diffusé en live. Mais il ne faut pas que cela devienne une constante et que tous les concerts soient sur Twitch, cela n’aurait aucun sens. Je ne veux pas devenir diffuseur de musique live sur Twitch.

    Venons-en justement au label Floral Records, que tu viens de révéler, mais sur lequel tu travailles depuis le mois de janvier. Comment est née cette idée ?

    J’avais déjà pensé à de nombreuses reprises à aider des artistes et à travailler avec eux, cela a trotté dans ma tête pendant longtemps. Finalement, cela a pu se faire parce qu’à un moment, la Ponce Corp (mon entreprise liée à mon activité de streamer) générait de l’argent, mais on ne savait pas comment utiliser ces moyens-là. Très souvent, les streamers gardent tout cet argent pour eux, ce qui est tout à fait compréhensible, ou parfois ils vont le réinvestir en masse dans des projets en rapport avec leur chaîne Twitch, comme ZeratoR avec des ZLan et des ZEvent ou Domingo avec Popcorn et tous les événements importants qu’il fait. De mon côté, je n’ai jamais eu envie de cela et je ne veux toujours pas organiser des choses démesurées sur ma chaîne avec cet argent-là, sauf le Bataclan qui était lié au label. Mais j'envisageais d'investir dans des projets, et au bout d’un moment, je me suis dit que c’était peut-être le moment de tenter cette histoire de label et de travailler avec des artistes.

    C’est un projet très coûteux pour toi et impossible à rentabiliser dans l’immédiat. Tu es à l’aise avec ça ?

    Il est clair que tu ne peux pas te lancer dans un label en te disant que tu vas gagner de l'argent. C’est littéralement impossible. On se lance dans le projet en définissant un budget qu’on est capable de perdre. Oui, on aurait pu le garder pour faire d’autres choses, mais on a décidé de l’utiliser pour ce projet-là. Peut-être que dans deux ans, on dira que c’est de l’argent perdu mais que c’était une belle expérience. Ou peut-être qu’on se dira qu’on a bien fait, que c’est un projet cool et qu’on va continuer. Il n’y a aucune recherche de rentabilité parce qu’on ne peut pas l’espérer. Cela dit, si dans cinq ans on a perdu un million d’euros et qu’on ne fait rien, forcément on va réfléchir. Mais ce n’est pas le but non plus. Dans l’immédiat, on préfère se concentrer sur la qualité de ce qu’on fait plutôt que sur le fait de générer de l’argent.

    Le concert du Bataclan était plutôt rock, les artistes du label aussi. Est-ce une identité que tu cherches à défendre ?

    Oui, dans un premier temps. Aujourd’hui, le rap et l’électro sont très développés parce qu’il est facile de s’autoproduire. Il est aussi plus simple pour le public de "rentrer" dans un morceau de rap de deux minutes que dans un titre de rock qui dure sept minutes. Cela ne demande pas la même oreille, pas la même écoute et pas la même attention. Et cela me rend un peu triste, parce que je suis à peu près sûr que beaucoup de gens seraient fans de rock s’ils prenaient le temps d’écouter et d’analyser un peu. Donc je me dis que quitte à faire un label et aider des artistes, autant le faire avec des gens qui galèrent parce que le rock est un peu sous-coté je trouve, mais aussi parce que quand tu as des musiciens, c’est difficile, tu as besoin de soutien. Plus que quand tu es un rappeur ou une DJ qui seraient peut-être mieux en solo. Je me trompe peut-être, mais beaucoup d’artistes de ce genre s’en sortent très bien seuls sans l’aide d’un label. Après, cela dépendra, on n’est pas fermé du tout. Franchement, il n’y a aucune envie de se limiter au rock, ce n’est pas du tout le but. Simplement, pour le moment, on va davantage aider des gens qui font ce genre de musique.

    Le fait de tourner est essentiel pour les groupes de rock. Vous allez booker des dates de concerts ?

    Pas dans l’immédiat. C’est un métier à part entière et vraiment difficile. Donc non, pour l’instant on n’en fait pas, car on ne peut pas s’improviser tourneurs facilement. Par contre, à terme, ce serait quelque chose que j’aimerais bien faire. C’est encore en discussion avec Léo et JB (fondateurs du label avec Ponce, ndlr) mais j’aimerais bien avoir un label à 360°. Ce n’est pas du tout prévu maintenant, mais à long terme. On préfère apprendre et prendre le temps de renforcer nos connaissances avant de proposer tout de suite beaucoup de choses qu’on ferait mal. On préfère donc aussi travailler avec des prestataires externes dans un premier temps, plutôt que d’internaliser. Après, si on peut booker une date nous-mêmes, on le fera ! Et on verra pour la suite.

    Concrètement, que va faire le label pour les artistes ?

    Premièrement, cela paraît tout bête, mais la sensation d’avoir un label qui croit en toi est importante. Quand on est artiste, on a parfois des questions existentielles où on se demande "est-ce que c'est bien ce que je fais ?", donc apporter du soutien est essentiel. Deuxièmement, des choses très concrètes comme payer des clips. Par exemple, Tip Stevens a sorti un clip juste après le concert, intégralement financé de A à Z par Floral Records et il a donc pu faire un peu ce qu’il voulait. On va apporter des leviers financiers pour pouvoir faire des choses de ce type qui coûtent extrêmement cher. Ensuite il y a l’édition. On en fait beaucoup pour les artistes, avec l’idée d’être disponibles sur le plus de plateformes possibles et d’avoir le meilleur référencement parmi les algorithmes. Et même si on ne fait pas de booking pour l’instant, on va soutenir les concerts en essayant de faire venir si on peut des journalistes et des collègues streamers pour mettre en avant les différentes dates. Et puis on va évidemment mettre en place du merchandising pour ceux qui veulent sortir des CD, des vinyles, des tee-shirts… L’idée c’est de s’occuper à la place des artistes de ce qui est en dehors de la musique. En tant que streamer, je l'ai déjà ressenti : ce que j’aime, c’est streamer, et tout ce qu’il y a autour, beaucoup moins. Quand tu es musicien, je sais que tu aimes jouer d’un instrument, chanter avec un groupe, composer, répéter et te produire en live, mais tu as souvent la flemme de tout ce qu’il y a autour. Donc on va le faire pour eux. Par exemple, déposer les titres dans des sociétés de gestion des droits d'auteur, vérifier que tout est en ordre du côté administratif…

    Vous avez aussi prévu de créer un studio. 

    Oui, on va faire un studio d’enregistrement et de résidence pour les artistes à Montpellier ! Déjà parce que je vais y déménager personnellement, ensuite parce que Léo y habite. Et enfin parce que c’est une ville qui peut mettre à disposition des subventions pour la culture, beaucoup plus que la région parisienne par exemple. On ne sait pas encore ce qui sera possible, mais si le label a des locaux gratuits pour monter son studio, ce sera une aide exceptionnelle. Et puis j’aime aussi cette idée de décentraliser, parce que beaucoup de choses se passent à Paris, où on est un peu bloqué pour beaucoup de professions. J’aime cette idée de proposer aussi à des artistes de venir une semaine à Montpellier, nourris et logés, avec un lieu de résidence pour changer d’air. Cela fait du bien, et je suis absolument certain que cela apporte quelque chose pour la création. On pourra aussi le louer à des gens qui ne font pas partie du label. Cela peut être une source de revenus, mais ce studio va nous coûter des centaines de milliers d’euros donc on n’est pas près de le rembourser !

    Tu as expliqué vouloir que le label vive en dehors de ton activité de streamer, et bien séparer les deux. Comment faire sachant que tu en es le visage et l’incarnation auprès de ton audience ?

    C’est compliqué ! Franchement, il faut savoir que lorsque je me lance dans des projets de ce genre, parfois je me donne un leitmotiv et puis je vois un peu au jour le jour, donc je ne sais pas comment faire aujourd’hui. Après, il y a quand même quelque chose d'important, c’est déjà de ne pas tout faire en live sur Twitch. Le but est que les gens se déplacent pour voir les groupes. Beaucoup de choses vont rester non pas secrètes mais simplement à la charge du label qui travaillera et communiquera dessus. Après, je ne serai jamais totalement dissocié de Floral. Quand il y aura une sortie, un concert, je vais forcément le dire, mais je ne veux pas que dès qu’il se passe quelque chose avec le label, cela se retrouve sur ma chaîne Twitch en fait.

    De ton côté, tu as aussi enregistré ton premier morceau, Floral. Tu voudrais enregistrer un album complet sous ton nom ?

    Pas un album car cela fait beaucoup, mais il n’est pas impossible que le groupe de quatre personnes ayant créé Floral avec moi (Lou et Tristan, la chanteuse et le guitariste de Ceylon, Léo, le codirecteur du label et Mattëo, un ami qui est contrebassiste chez Princesse Näpalm, autre signature du label) enregistre d’autres choses à l’avenir.

    Ce morceau confirme que tu as une approche de la musique beaucoup plus sérieuse que les streamers et youtubeurs qui chantent pour le fun. Pourquoi ?

    Chacun fait ce qu’il veut tant que cela l’amuse. Franchement, c’est sympa et les gens ont l’air d'apprécier. Après, effectivement, je ne suis pas sûr que cela aide à rendre notre business sérieux. Je sais que le milieu de la musique a un regard très, très critique sur ces créations et je le comprends. Parce que je vais être honnête, l’album de Squeezie, je ne suis pas fan et je n’écoute pas cela du tout. Et il y a beaucoup de projets de youtubeurs que je trouve juste mauvais, concrètement. Cela ne m’aide pas beaucoup dans mes projets, parce que beaucoup de gens pensaient par exemple que j’allais annoncer un label de streamers ou de youtubeurs qui font de la musique, alors que pas du tout. Donc je trouve cela très cool et je comprends à 100% que des gens aient cette idée de sortir des morceaux qui font plaisir au public et tant mieux. Mais je ne pense pas que cela sert la cause des gens comme moi qui veulent faire de la musique sérieusement. Après, des créateurs de contenus internet qui sont dans ce cas, je ne crois pas non plus qu’il y en a beaucoup. Donc mon avis est biaisé et je suis sans doute le seul à penser cela.

    C’est pour ça aussi que tu ne veux pas chanter ?

    En fait, je ne sais pas chanter. Evidemment, si tu me mets dans un studio avec un peu d’autotune et que j’écris un texte médiocre, bien sûr que je peux donner quelque chose par-dessus une prod comme tout le monde en fait. Mais ce n’est pas du tout ce que je sais faire, ce que j’aime et ce qui est cool pour moi. Il n’est pas exclu que je chante un jour, je n’en sais rien. Mais si c’est le cas, ce sera fait avec sérieux, et pas à l’arrache comme cela. Je veux faire quelque chose dont je suis fier. C'est le cas avec la batterie parce que j’ai été batteur et que j'aime ça, mais ce ne serait pas le cas du chant dans l’immédiat. Il faudrait que je le bosse.

    Le public de Twitch est jeune et pas forcément passionné de rock et de musique en général. Tu as animé un podcast sur le droit d’auteur, tu défends beaucoup d’artistes auprès de ta communauté avec tes playlists et maintenant ton label. Est-ce que tu te vois comme un prescripteur, ou un vulgarisateur ?

    Je n’ai pas vraiment envie de me placer comme quelqu’un qui donne des cours. Je n’ai pas envie non plus d’être le vieux boomer qui dit "allez voir des concerts les jeunes, vous allez voir c’est trop bien le rock". Après, on a la chance d’avoir une audience qui est large et attentive, et donc à partir de là, c’est vrai que si on aime quelque chose et qu’on a envie que cette chose vive, autant la mettre en avant d’une certaine manière. Mais je ne sais pas vraiment si j’essaye d’enseigner des choses…

    Même si tu es loin d’être un boomer, tu constates un changement dans les habitudes d’écoute de la musique entre ta génération et tes viewers les plus jeunes ?

    Je ne sais pas si c’était mieux avant parce que je ne l’ai pas vécu. Mais tous les médias à disposition pour écouter de la musique font qu’on peut être flemmards, et on en a le droit puisque de toute façon il y a tellement de choses… Cela m'inquiète beaucoup de savoir que maintenant les gens zappent – et pas seulement en musique – si quelque chose ne les convainc pas en quatre secondes. C'est très effrayant, et pour la musique c’est hallucinant. Cela m’a bien fait rire quand Ceylon a débarqué sur scène au Bataclan : comme je les connais depuis toujours, je savais que les gens allaient se dire "euh, trop bizarre", et cela n'a pas loupé. Pendant la première minute de leur concert, beaucoup de gens dans le chat de Twitch mettaient des points d’interrogation et se demandaient ce que c’était. Déjà, cela en dit long, le concert qui va durer trente minutes a commencé depuis seulement trente secondes, donc attendons un peu, non ? Et dix minutes après, le chat était fan. Donc, il faut prendre son temps avant de dire si on aime ou pas quelque chose, sinon je trouve que c'est très étrange. Je pense qu’on ne peut rien y faire, avec TikTok et le reste, tout est fait pour que ce soit ainsi donc on n’y changera rien et à mon avis cela ne va pas aller dans le bon sens. C’est pour cette raison aussi que je mets l’accent sur les concerts parce qu’une fois que tu y es, tu ne t'en vas pas au bout de 17 secondes si cela ne te plaît pas. Une fois que tu t’es déplacé, tu prends le temps d’être curieux et d’essayer d’apprécier ce qui se passe devant toi. Voilà pourquoi les concerts sont importants, je trouve.

    Le secteur de la musique, notamment live, est en souffrance, et à l’inverse le streaming est en pleine croissance, sachant qu’il y a aussi de plus en plus de musique, de concerts et d’artistes sur Twitch. Quel regard portes-tu sur cette évolution générale et quels ponts imagines-tu à l’avenir entre le streaming et le milieu de la musique, sachant que ce sont deux mondes très différents et encore très étanches l'un envers l'autre aujourd'hui ?

    Vaste question ! Je pense que Twitch est un espace d’échange vraiment infini, et que la musique a besoin de ce genre d’espace pour vivre. D’ailleurs, un des premiers réseaux sociaux, MySpace, était centré sur la musique. Donc il y a quand même une réalité, c’est que les gens ont besoin de partager et d’avoir l’interactivité permise par Internet. Après sur Twitch, je ne sais pas. Les lives, je trouve que c'est très cool, j’en ai fait un, mais c'est tellement moins bien à distance que cela peut fausser l’idée qu’on se fait d’un concert. Je pense que lorsque certaines personnes voient des lives sur Twitch, elles se disent "ah putain ça me gonfle, je fais bien de pas aller en concert" alors que l’expérience sur place n’a aucun rapport. Donc je trouve que c’est quand même assez limité et qu’il ne faudrait pas que tous les concerts soient en live sur Twitch. Après, c’est exceptionnel pour la création. Je pense notamment à Tip Stevens qui crée vraiment ses albums en live. Les gens voient le processus de création, cela donne de la valeur à la musique de voir cela, comme quand on va visiter l’atelier d’un artiste qui fait de la poterie. On comprend aussi ce que cela coûte et ce que cela demande. Et la musique est bien mise en avant.

    Crédit de toutes les photos : Chloé Ramdani

    https://floralrecords.fr/

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