Il y a 10 ans, Tame Impala faisait ses adieux au rock avec "Lonerism"

Aujourd’hui, Kevin Parker est en tête d’affiche des plus gros festivals du monde avec un gigantesque light show qui a de quoi donner des sueurs froides aux partisans de la "sobriété énergétique". Mais il y a encore 10 ans, l’Australien était considéré comme le nouveau héros du rock psychédélique. Une étiquette réductrice quelque peu remise en cause par "Lonerism", un deuxième album où Tame Impala faisait (déjà) ses adieux en beauté au genre musical de ses débuts.
  • Nous sommes en 2011. La décennie vient à peine de débuter que l’on tient déjà avec certitude l’un des plus grands disques des années 2010. Avec "Innerspeaker", premier album hallucinant et regorgeant de guitares grâce auxquelles il a ressuscité de façon inédite les grandes heures du psychédélisme des sixties, Kevin Parker s’est imposé comme l’espoir le plus fascinant du renouveau du genre.

    Et pour cause : le garçon est un surdoué de la musique qui joue de tous les instruments et compose l’intégralité de ses titres en solo. Bref, tous les adeptes de ce chef-d’œuvre racé et mixé par Dave Fridmann – producteur maison des Flaming Lips déjà présent sur le fantastique "Congratulations" de MGMT – attendent avec la bave aux lèvres la prochaine livraison estampillée rock psyché de l’homme capable de morceaux de bravoure aussi miraculeux que Runway, Houses, City, Clouds.

    Mais Kevin Parker a d’autres idées en tête. Il a déjà le sentiment d’avoir fait le tour des guitares avec "Innerspeaker" et il n’a aucune envie de se répéter. Au contraire, il a l’intention de commencer à assumer son penchant pour la pop, en utilisant notamment beaucoup plus de claviers sur son prochain album.

    Un virage qui accompagne aussi un changement dans ses obsessions musicales : il délaisse les années 1960 au profit de la décennie suivante, et se tourne vers le disque le plus réputé d’une de ses idoles, le cultissime "A Wizard, a True Star" (Todd Rundgren, 1973).

    En réalité, malgré une obsession aussi grandissante pour la pop à la Britney Spears, Kevin Parker n’ose pas encore franchir le Rubicon comme il le fera trois ans plus tard sur "Currents". En 2011, son envie de désorienter quiconque l’écoute domine encore au moment de composer ce deuxième album. Il ne multiplie donc pas seulement les couches de synthés, mais aussi les boîtes à rythmes, les samples et les sons d’ambiance enregistrés par ses soins dans la rue et aux quatre coins du monde, au risque de donner de sérieuses indigestions à ses fans de la première heure.

    Musicalement, cela donne un album assez difficile à classer, car écartelé entre plusieurs directions contraires qui semblent s’affronter. Mais il faut le dire, c’est encore assez passionnant à écouter aujourd’hui. Si "Lonerism" ne mérite pas le titre de chef-d’œuvre décerné à son prédécesseur, c’est bien plus un album de mutation que de transition : Parker multiplie les expérimentations, et ce dès Be Above It, morceau d’intro obsédant marqué par un motif de spoken word répété à l’infini.

    Au début de l’été 2012, le single Apocalypse Dreams est envoyé en éclaireur et prouve que Tame Impala est capable de marier au sein d’un même morceau son ambition d’accessibilité et d’immédiateté pop avec ses racines plus abrasives, en particulier ce son de batterie compressée si caractéristique, ainsi qu’une structure qui use et abuse des brusques changements de rythme et des fausses pistes.

    C’est une merveille de mélodie psychédélique bourrée d’idées, qui rappelle en outre et si cela était nécessaire que Kevin Parker est toujours raide dingue du "Revolver" des Beatles (1966) et de son révolutionnaire Tomorrow Never Knows.

    Et Tame Impala enfonce le clou quelques semaines plus tard en sortant un morceau monstrueux mais totalement à contre-courant de l’album à venir, le désormais bien connu Elephant, sorte de croisement improbable entre Black Sabbath, John Lennon – dont la voix est comparée à celle de Parker depuis les débuts de ce dernier – et un tube glam rock qui donne irrésistiblement envie de taper du pied par terre.

    Le succès du morceau sera tel que Kevin Parker en aura longtemps un peu honte, mais il n’y a vraiment pas de quoi, d’autant qu’Elephant fait directement écho aux débuts de Tame Impala sur l’EP éponyme sorti en 2008, où l’on trouvait la première pépite de Kevin Parker, Half Full Glass of Wine, grosse pièce de résistance heavy à la Cream, marquée par un riff de guitare et de basse délicieusement gras, acide et lent.

    Les fans de Tame Impala ne le savent alors pas encore, mais l’anomalie Elephant peut rétrospectivement être considérée comme le morceau d’adieu à ce qu’était le projet à ses débuts. On pouvait bien sûr déjà le pressentir à l’époque sur d’autres morceaux de "Lonerism" comme le single Feels Like We Only Go Backwards, ritournelle pop un peu fatigante qui préfigure le virage que prendra Tame Impala par la suite.

    Entre ces deux extrêmes, Kevin Parker essaye beaucoup de choses et se plante parfois en se laissant aller à son péché mignon de la surcharge, mais il y a quelque chose de très attachant dans la folie de cet album qui part dans tous les sens et avec lequel Kevin Parker ne sait pas – encore – sur quel pied danser.

    Cela viendra bien assez tôt, mais à la sortie de l’album en octobre 2012, c’est encore un hippie timide qui joue pieds nus et sans chichis sur la scène du Bataclan à Paris, où une partie de l’album a été enregistrée, puisque Parker a habité dans notre capitale en 2011 en compagnie de sa copine de l’époque, la Française Melody Prochet de Melody's Echo Chamber, dont il a produit le très bon premier album éponyme, sorti juste avant "Lonerism".

    C’est à cette période qu’il prend en photo les grilles du jardin du Luxembourg : son cliché servira de base au célèbre artwork de l’album, si emblématique de l’esthétique Instagram de son époque, et réalisé par le designer australien Leif Podhajsky, déjà auteur de la superbe pochette d’"Innerspeaker" et des premiers singles de Tame Impala.

    Pour le disque suivant, Kevin Parker changera d’artiste et surtout de genre musical, mais c’est une autre histoire. En attendant, "Lonerism" reste de loin son deuxième meilleur album derrière "Innerspeaker", et dix ans après sa sortie, on peut aujourd’hui dire qu’il correspond à une époque révolue de Tame Impala qui nous manque cruellement. Avouez-le aussi, c’était le bon temps, non ?

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