2023 M04 6
Que peut bien proposer un groupe répondant à l’identité La Femme, ce pseudonyme a priori des plus banals ? La promesse d’une pop à l’identité troublée ? Une musique qui refuse de se plier aux normes patriarcales ? Ou est-ce tout simplement une façon de prôner le mystère, d’encourager le fantasme ? Le premier album des Biarrots pose toutes ces questions, ne répond à aucune d’entre elles, et c’est très bien ainsi. Il y a chez eux l’envie de perturber les repères, de troubler les genres (« Devenir unisexe », clament-ils sur Si un jour), de dire que l’on n’entre pas dans leur univers comme dans celui de Granville ou Aline, autres formations alors en pleine bourre au sein de la scène pop française.
Ici, l’auditeur est prié de laisser ses a priori derrière lui, sommé d’avancer sans boussole dans ce vaste monde qui lui est proposé, parfaitement incarné par cette pochette foisonnant de détails psychédéliques. « On voulait prouver, contrairement à ce qu’on nous martelait, que tout n’avait pas été fait, qu’il restait des musiques à explorer », expliquait Marlon Magnée dans une interview aux Inrocks.
Pour évoquer cette façon étrange d'envisager la pop française, La Femme parle alors de « yé-yé punk », voire même de « débile mentale wave ». Un simple gimmick ? Plutôt une manière de dire que les gens du groupe ne se prennent pas vraiment au sérieux malgré des références solides (le Velvet, les Dead Kennedys, Ennio Morricone, Marie & Les Garçons, etc.). Tout ce qui compte, au fond, ce sont les sensations, ce mot qui a provoqué tant de remous dans le cœur de la jeunesse française à l’écoute de leur premier single : « Sur la planche, dans le sable, je recherche des sensations ».
Sur la planche devient rapidement un tube (8 millions de vues sur YouTube), presque un hymne taillé autant pour les clubs branchés que pour les supermarchés (ce qui n’a rien d’une insulte !), tandis que le décryptage des paroles de La Femme ne tarde pas à devenir un sujet pour une partie de la critique. Naïve ou porteuse d’un message émancipateur ? Faussement intello ou tout simplement symbole d’une ambiguïté émotionnelle ? Marlon Magnée, Sacha Got et les autres laissent à chacun le loisir d’en interpréter la nature profonde, comprendre comme il l’entend des propos propices à de multiples lectures.
Que l’on aime ou non La Femme, « Psycho Tropical Berlin » donne quoiqu’il en soit l’impression de participer à une aventure collective, de s’exposer à des morceaux voués à s’immiscer dans différentes strates de l’imaginaire populaire : on entend Sur la planche dans des publicités, It’s Time To Wake Up dans Premières vacances avec Jonathan Cohen et Camille Chamoux, etc. Ce premier album, c'est un périple qui, des États-Unis (Welcome America) à la côte basque, en passant par Paris, a permis l’éclosion de jeunes artistes aujourd’hui bien identifiés (Clara Luciani, le producteur Samy Osta, AJA), tout en devançant de quelques années l’omniprésence de la langue française dans la grammaire de la pop et du rap.
En 2013, ces intentions n’étaient pas la norme, de même que leur bonne réception : en seize morceaux aux structures mouvantes, tantôt frénétiques, tantôt patraques, « Psycho Tropical Berlin » inversait donc la tendance avec un certain sens du style. Et l'évident souci de questionner l'amour, les relations amicales et les orientations sexuelles.
Après un tel coup d’éclat, récompensé par une Victoire de la musique en 2014 (catégorie « Album révélation de l'année »), ce collectif de jeunes gens modernes pouvait-il réellement faire mieux ? Il appartient à celles et ceux ayant écouté « Mystère » (2016) ou « Paradigmes » (2021) de répondre à cette question, et d’installer ou non les Biarrots parmi les groupes les plus essentiels de la pop française contemporaine. Chez Jack, en tout cas, on a notre petite idée : c’est que l’on n’a pas tous les jours l’occasion d’entendre une formation capable d'incarner une vraie proposition artistique, puis d'être excitante et troublante dans un même souffle.
Crédit photo Une : Born Bad / JF Julian