2021 M06 7
Au cours des années 2000, les jeunes fougueux d’Arctic Monkeys sont passés par tous les états : on les a entendu se faire l'écho d'une jeunesse désespérée par l’ennui et la grisaille du quotidien sur When The Sun Goes Down, tenter de berner deux videurs afin d'entrer en boite (From The Ritz To The Rubble), rendre hommage au Magicien d’Oz (Old Yellow Bricks) ; on les a découvert également tour à tour romantiques (Secret Door), insouciants (Fluorescent Adolescent) et presque conscients, capables narrer comme personne l'Angleterre prolo, les soirées foireuses et le quotidien d'une génération à travers des morceaux qui racontent les années adolescentes du côté de ceux qui traversent les couloirs du lycée la boule au ventre plutôt que de celui des sportifs bodybuildés.
À tel point qu’au moment de sauter à pieds joints dans une nouvelle décennie, Alex Turner et sa bande posaient la question : et si les petits gars de Sheffield résumaient mieux que quiconque l’époque ? Elle était en tout cas à l’image d’une génération, énergique, attiré par les collisions avec le hip-hop (cf Temptation Greets You Like A Naughty Friend en duo avec Dizzee Rascal) et capable de passer des heures sur Internet afin de trouver un nouveau groupe qu’elle serait prête à défendre bec et ongles auprès des anciens, souvent hostiles à l'idée de voir une nouvelle équipée de chevelus venir bousculer leur panthéon personnel des icônes du rock.
Parmi les anciennes générations, qu'ils admirent (John Cooper Clarke, Scott Walker, etc.), les Anglais ont toutefois pu compter sur Josh Homme, le patron de Queens Of The Stone Age. Celui qui coproduit leur troisième album (« Humbug », sorti en 2009). Celui qui incite la formation à venir s'installer en Californie, et plus particulièrement dans son antre personnel, à Joshua Tree. C'est là, en plein cœur du désert, que les Arctic Monkeys s'ouvrent à de nouvelles nuances, s'autorisent à regarder plus ouvertement dans le rétro, quitte à flirter avec les plus banales faces B de la britpop : Brick By Brick, sans doute le plus mauvais morceau du répertoire du groupe. Le seul, d'ailleurs, qui n'est pas interprété par Alex Turner - c'est le batteur, Matt Helders, qui s'y colle.
Au fond, le style défendu sur « Suck It And See » était déjà perceptible sur Sketchead, la face B de Cornerstone, sorti en 2009. Il ne s'agissait plus pour Arctic Monkeys de décréter l'état d'urgence, ces deux minutes et trois secondes ne transpiraient pas la frénésie d'adolescents prêts à tout saccager au sein du domicile parental. C'était autre chose qui se jouait : une déflagration de guitares lourdes, un rythme impétueux, des mots presque crachés par un Alex Turner toujours plus charismatique. Ce schéma là, c'est précisément ce qui fait la force de ce quatrième album. Tout simplement parce que les Anglais ne s'y limitent, osant l'humour (Don't Sit Down 'Cause I've Moved Your Chair), les variations de textures (Library Pictures) et les mélodies qui délaissent complétement la distorsion et l'amplification.
Piledriver Waltz et That’s Where You’re Young, par exemple : en deux morceaux, Arctic Monkeys prouve qu’il n’est pas de ces groupes qui doivent tout faire pour que leur originalité apparaisse plus grande que leur artificialité. Tout est simple, limpide, sans artifices. Avec, d'un côté, un morceau capable de ringardiser plusieurs générations de crooners ; de l'autre, une mélodie suffisament biopolaire, entre mélancolie et airs bienfaiteurs, pour arpenter les mêmes chemins que ceux empruntés autrefois par New Order.
À sa sortie, nombreuses les critiques à avoir émis des réserves quant à ce « Suck It And See » qui semble ne jamais choisir entre le son heavy de « Humbug » et des pop-songs à même de faire trembler les stades. On a rapidement compris malgré tout que cet entre-deux est précisément ce qui fait la puissance de quatrième long-format drapé de refrains musclés. Avec, toujours, ces paroles qui contenaient bien plus de littérature que la plupart des romans édités en 2011.