Il y a 10 ans, « AM » faisait d’Arctic Monkeys des superstars du rock

Une décennie après sa sortie, le 9 septembre 2013, ce cinquième album reste essentiel pour la place qu’il occupe dans l’œuvre d’Arctic Monkeys : une pièce maîtresse, une compilation de tubes et un tremplin vers les stades du monde entier. Flashback.
  • Dix ans. Un chiffre rond idéal pour les regards rétrospectifs et les bilans d'étape. L'occasion également de poser un autre regard sur une œuvre, d'avancer de nouvelles pistes de réflexion. Une décennie après la sortie de ce cinquième album, il est ainsi possible de dire que « AM » incarne en quelque sorte l'aboutissement, bluffant, génial, d'un changement de style opéré en 2009 avec « Humbug ». À l'époque, déjà, il ne s'agissait plus de raconter les errances de jeunes du Nord de l'Angleterre sur des riffs courts et intenses. La production devenait soudainement plus lourde, l'atmosphère nettement plus sombre.

    Par la suite, il y a eu le mal-aimé « Suck It And See », dont les ambitions pop pouvaient laisser à penser que les Arctic Monkeys se cherchaient. Avec le recul, il semble plus juste de dire qu'ils expérimentaient alors des sonorités qui trouveront toute leur puissance et leur maîtrise sur « AM », ce disque où les Anglais délaissent l'excentricité de leur nom pour des initiales plus classiques, plus rock, plus ouvertes (Alex Turner a laissé entendre qu'il pourrait également s'agir du verbe « am » ou de l'heure de la journée), mais surtout plus percutantes. Pas un hasard, finalement, si la pochette de ce cinquième album est devenue si iconique.

    Si les quatre comparses profitent de « AM » pour passer dans une autre dimension, et donner désormais des concerts dans des stades, ils n'en oublient pas pour autant ce qui constitue leur ADN : l'humour (Why’d You Only Call Me When You’re High?), les romances compliquées, les fulgurances rock hyper efficaces, etc. « AM » est tout simplement moins britannique que « Whatever People Say I Am, That's What I'm Not » ou « Favourite Worst Nightmare », peut-être plus vintage et sexy également sur la forme.

    C'est que Alex Turner et sa bande assument ici l'influence de la soul et du R&B, deux genres musicaux caractérisés par leur rigueur rythmique, leur science du groove et leur interprétation, langoureuse, ambigüe. Au passage, rappelons qu'en 2013, Arctic Monkeys s'amusait à reprendre Hold On, We're Going Home de Drake.

    À l'exception de R U Mine?, One For The Road ou l'hymne Do I Wanna Know?, probablement le tube le plus populaire du groupe, il est ainsi peu de question de ces fameux « mad sounds » sur « AM ». No.1 Party Anthem expose le côté crooner d’Alex Turner ((s’il existe un idéal de timbre pop, l’Anglais n’en est pas loin) et semble avoir été enregistré dans la continuité de la sublime BO Submarine, I Wanna Be Yours, adaptation en musique d'un poème de John Cooper Clarke, s'entend comme une longue complainte amoureuse, Knee Socks se reçoit comme une version rock d’un tube funk 70’s, Arabella pourrait être un tube glam de T.Rex, etc.

    Toutes ces intentions sont également rendues séduisantes et accessibles grâce à la production du fidèle James Ford, moderne, massive tout en étant épurée, du genre à redonner de la gueule et du charisme au rock, y compris quand Alex Turner se veut plus sensuel, plus romantique. « J'ai rêvé de toi presque toutes les nuits de cette semaine », ronronne-t-il sur Do I Wanna Know?, avant de s'interroger sur le titre suivant : « Seras-tu à moi demain, ou seulement ce soir ? ». Bref, l’Anglais n’a pas son pareil pour chanter des histoires d’amour si intenses qu’elles feraient passer l’idylle de Ross et Rachel pour un vulgaire film érotique.

    Contrairement au « El Camino » des Black Keys, avec qui les Arctic Monkeys ont tourné à l'époque, « AM » n'est donc pas album fiévreux, dansant, voire même euphorique. C'est leur vision, somme toute personnelle, du classic-rock, avec juste ce qu’il faut de folie, d’arrangements sophistiqués et d’influences extérieures (en plus de la soul et du R&B, citons le hip-hop, au moins dans la production) pour éviter toute forme de classicisme.

    Pour beaucoup, « AM », dont les ventes équivalent celles de « Whatever People Say I Am, That’s What I'm Not » (environ 3,7 millions d'exemplaires), devient donc le son d’Arctic Monkeys. Pour les autres, présents depuis les débuts, ce cinquième album constitue autant une rupture avec les premiers albums qu’un prolongement logique et réussi des disques suivants. Ce qui, en fin de compte, témoigne de l’essentiel : Arctic Monkeys n’a jamais cherché à se répéter, refusant d’être ces amis d’avant avec qui on passe du bon temps dans le simple but de faire revenir à la surface les souvenirs des temps plus naïfs.