“The Car” d'Arctic Monkeys : un 7ème album qui divise

Le septième album des Anglais risque de cliver, déclencher des broncas auprès des pseudos puristes du groupe et rencontrer l’incompréhension d’une partie du public de David Bowie ou Richard Hawley. Il est malgré tout possible de poser une certitude : Arctic Monkeys est l’un des plus grands groupes contemporains, et « The Car » est un grand disque. Quelle veine !
  • La scène avait fait grand bruit : en 2006, lors du Mercury Prize, récompensant le meilleur album britannique des douze derniers mois, les Arctic Monkeys sont nominés pour « Whatever People Say I Am, That's What I'm Not » et remportent la mise au dépend de Richard Hawley, une de leurs idôles, injustement méconnu du grand public. Sur scène, Alex Turner suggère alors d'appeler le 999, numéro anglais des urgences, prétextant que « Richard Hawley vient de se faire voler ». Le respect est total.

    Impossible, pour autant, de réduire la dévotion des Anglais pour l'icône de Sheffield à ce seul geste : son influence s'entend dans les complaintes luxuriantes de « Tranquility Base Hotel + Casino », tandis qu'Arctic Monkeys, en 2012, à l'Olympia, invitait le crooner le temps d'un You & I enregistré ensemble quelques mois plus tôt.

    En dix chansons, produites par le fidèle James Ford, « The Car » prolonge cette correspondance avec l’œuvre de Richard Hawley, ne serait-ce que dans ce goût commun pour les ballades lentes et romantiques, chantées le pouls ralenti. Il serait toutefois injuste de l’y limiter. Il y a du Scott Walker dans cette façon de se moquer du formatage pop, préférant le bel ouvrage aux cadres restrictifs dans lesquels se sont enfermés tant de leurs contemporains (Franz Ferdinand, The Kills).

    Il y a chez Alex Turner, à l’écriture ici de tous les arrangements, un évident attrait pour le vintage et cette quête de la mélodie élégante, qui ne se donne pas à la première écoute, drapée dans des étoffes orchestrales qui renvoient à cet âge d’or du songwriting grand luxe des années 1970, quand John Lennon enregistrait ses albums à New York, quand David Bowie se réinventait en crooner funambule sur « Station To Station ».

    Ce qui était déjà souterrain sur le kubrickien « Tranquility Base Hotel + Casino » prend aujourd'hui une toute autre ampleur avec « The Car » : un album enregistré entre le Suffolk, Londres et les studios La Frette, près de Paris, où les Anglais se détachent de ce qu’ils ont construit à la fin des années 2000, abattent les différentes représentations d’eux-mêmes (à commencer par cette image de jeunes minets de l’indie-rock). Cette stratégie, plus féconde qu’on ne pourrait le penser, peut déplaire si elle est interprétée comme une forme de prétention, mais pour tout dire, elle nous plaît.

    C’est là l’astuce trouvée par Arctic Monkeys pour ne pas vouer allégeance aux tics de production actuels, de donner vie à des chansons qui n'ont pas d'ancrage dans le présent, qui inventorient les doutes, les questionnements et les failles d'un leader prêt à s'amuser de ses penchants romantiques : « Je sais que j’avais promis que je ne le ferais pas, mais d’une certaine manière revenir au vieux romantique idiot semble plus approprié », chante-t-il sur There’d Better Be a Mirrorball, belle introduction qui, à défaut d'inciter à l'euphorie, possède un pouvoir de réconfort fascinant.

    Ce constat, il est totalement envisageable de le formuler au sujet des neuf autres morceaux de « The Car ». Tout ici paraît sans effort, touché par la grâce. Avec, en prime, des costards impeccables (il faut bien l'avouer) et de multiples frissons à chaque fois que surgit cette voix qui semble porter toute la mélancolie des hommes. Dans la droite lignée de « Tranquility Base Hotel + Casino », il y a presque quelque chose de théâtral (« C'est l'entracte, allons serrer quelques mains », clame-t-il sur I Ain’t Quite Where I Think I Am) à entendre Alex Turner et sa bande construire autant leurs mélodies avec des notes et des déluges de cordes qu'avec du silence et de l'espace.

    Certains crieront à la monotonie (Jet Skis On The Moat, avec sa basse funky, n'évite pas totalement cet écueil) ou à la musique pour quinquas bourgeois. On préfère y voir le geste artistique de quatre musiciens soucieux de privilégier la finesse harmonique : Body Paint, The Car ou Hello You sont ainsi autant d'odes à l'élégance, sinon essentielles, du moins nécessaires au sein d'une époque cernée par la laideur.