Ichon : "Quand j'écris une chanson, je me dis toujours que c'est peut-être la dernière"

Trois ans après un premier album qui avait jouit d’un beau succès d’estime (« Pour de vrai »), Ichon ne cherche plus à cacher son ambition : porté par des mélodies puisées dans la new wave, le rap ou la pop, « KASSESSA » est un mot d’ordre, une déclaration d’intention. « C’est ma manière de dire que je veux prendre ma place et m’installer dans le paysage musical ». Au moins, le ton de l’interview est donné.
  • Je crois savoir que l’album est mixé et masterisé depuis juin. Comment tu occupes tes journées depuis ?

    Tu sais, le temps passe vite quand on est indépendant et que l’on doit tout gérer. Mon fils est également né en juin, ce qui rend les journées un peu plus denses… Depuis la finalisation de l'album, il a surtout fallu penser aux photos, à la préparation du live, à la conceptualisation du projet. Aussi, il y a eu le tournage de la trilogie PAGE BLANCHE-SOUVENT-KASSESSA, que l’on a fait aux Fauvettes, une cité du 93 qui va être détruite en 2025.

    Ton album étant très personnel, tu ne souhaitais pas tourner ces clips chez toi, à Montreuil ?

    C’était l’idée, oui, mais l’opportunité de tourner aux Fauvettes s’est présentée à nous. Un jour, une association du coin a contacté ma réalisatrice, Hannah Rosselin, et lui a proposé de venir réaliser quelques photos. Elle m’a parlé du lieu et on a tout de suite trouvé du sens entre sa future disparition et le concept de l’album, qui est de tout casser comme le titre l’indique. Aussi, une fois sur place, on s'est rendu compte qu’il y avait des oiseaux partout dans la cité, dessinés sur les bâtiments ou ailleurs. Ça faisait sens avec « KASSESSA », clairement pensé pour souligner mon envie de m’envoler vers de nouveaux horizons.

    Tous ces nouveaux morceaux sont-ils nés après la réédition de « Pour de vrai », en septembre 2021 ? Ou tu avais déjà commencé à bosser dessus avant ?

    Non, tout est né après la réédition. Il faut dire aussi que « KASSESSA » s’est fait relativement vite. Probablement en à peine un mois et demi si je devais rassembler les moments de travail.

    Qu’est-ce qui explique cette rapidité ?

    Pour la première fois, on s’est donné une deadline. Avec l’Olympia qui arrive le 16 novembre, je tenais à me produire sur scène avec de nouveaux morceaux. Il fallait donc sortir un disque suffisamment en amont histoire de faire quelques dates avant de jouer dans cette salle mythique. Ma chance, ça a finalement été de pouvoir m’enfermer chez moi, à la campagne, dans la Creuse, et de pouvoir y faire venir mes fidèles comparses, Loubenski et Max Baby, le temps de trois séances d’une semaine à chaque fois. Ensuite, on n’avait plus qu’à peaufiner les idées.  

    « « KASSESSA », c’est aussi l’idée de ne pas aller vers une fausse légèreté : je voulais être encore plus frontal. »

    Ce recul à la campagne sonne presque cliché. C’était dans l’idée de trouver un nouveau souffle créatif ?

    Dans « Pour de vrai », je racontais déjà que j’avais envie de partir. C’est d’ailleurs quelque chose que je dis depuis tout petit, finalement. Désormais, j’ai la chance de pouvoir le faire grâce au petit billet reçu suite à la bonne réception de mon premier album. Ce n’est pas grand-chose hein, c’est le prix d’un petit studio à Paris, mais j’ai sauté sur cette occasion qui m’a obligé à être très concis dans mes mouvements, à être plus incisif. « KASSESSA », c’est aussi l’idée de ne pas aller vers une fausse légèreté : je voulais être encore plus frontal, plus direct.

    C’est vrai que, au-delà des propositions musicales assez variées (de la new-wave à la variété), la frontalité des paroles est ce qui reste en tête à l’écoute de « KASSESSA »…

    Mon père a l’habitude de dire : « Ce qui se conçoit clairement s'énonce aisément ». En gros, ça ne sert à rien de faire des chichis. J’avais donc à cœur de garder une certaine spontanéité, une franchise, un côté enfantin dans cette façon presque naïve de mettre des mots sur ce qui peut blesser au quotidien.

    Sur « Pour de vrai », tu chantais : « De la mort à l'amour, il n’y a que deux lettres ». Là, un morceau se nomme LA BEAUTÉ DES MOTS. Tu n’as pas peur d’aller parfois trop loin dans cette simplicité, de flirter parfois de près avec des jeux de mots interdits ?

    Pour ce titre, je ne me voyais pas le dire autrement : « la beauté des mots », pour moi, ce n’est même pas une rime ou une volonté de faire une homonymie, c’est le seul moyen que j’ai trouvé de parler de la beauté de ce qui m’a fait mal. Cette formulation me paraissait magique, évidente, d’autant qu’elle prolonge ce que je dis dans SOUVENT, où j’insiste sur la nécessité de se battre, de trouver de la force ou de la poésie dans ce qui nous heurte.

    Ces maux dont tu parles, ce sont essentiellement des résidus d’une peine amoureuse ?

    Dans tout cet album, je parle de la même femme, la mère de mon fils. Mais il y a plein d’autres choses qui m’ont fait souffrir ces deux-trois dernières années, qui vont bien au-delà de mon cas personnel. Ça concerne autant cette nouvelle vie dans la Creuse, où j’expérimente à nouveau le fait d’être un « noir » pour les autres, que l’actualité. Quand on y pense, « KASSESSA » aurait pu être bien plus sombre. Il devait l’être d’ailleurs.

    « J’ai fini d’être cet enfant qui va se complaire dans son mal-être. »

    Tu penses que cette richesse instrumentale, dont je parlais tout à l’heure, permet à ton album de gagner en relief ?

    Tu sais, la majorité des morceaux sont uptempo, basés sur des accords plus dynamiques que « Pour de vrai ». Forcément, ça amène plus de légèreté, peut-être même d’optimisme. Dans le fond, ma musique est également plus complète. Je suis un homme qui sait qu’il ne va plus rester au sol, quoiqu’il arrive, et je tiens à le chanter encore et encore. Désormais, j’ose dire que ça ne va pas, et je vois ça comme une preuve de courage. J’ai fini d’être cet enfant qui va se morfondre et se complaire dans son mal-être. La naissance de mon fils, son existence, m’encourage à aller dans ce sens.

    Dans Logik, tu dis : « Que j’allais me remettre à rapper, c’était logique ». Est-ce un clin d’œil à tous ceux qui pensaient que tu avais délaisser le rap pour la chanson ?

    Bien sûr ! Le plus fou, c’est que c’est venu tout seul, dans un moment de peine. Je venais de me séparer, j’étais à Lisbonne, et je me suis automatiquement mis à rapper. Un peu comme si j’avais besoin de le faire. Après tout, les émotions tristes et violentes m’ont toujours donné envie de rapper.

    Je sais que tu as toujours bien aimé Disiz, et je trouve qu’il y a des correspondances possibles entre son dernier album, « L’amour », et le tiens : est-ce que son évolution vers la pop, avec le succès que ça sous-entend, t’a encouragé de près ou de loin à assumer tes choix ?

    C’est quelqu’un que j’écoute depuis petit, dont je me suis beaucoup inspiré, donc oui, c’est clairement rassurant. Ce qui est fou, c’est que son album est également né de peines visiblement douloureuses, donc j’espère que l’on n’est pas obligé de passer par ce genre d’épreuves pour créer de beaux disques, aha. En tout cas, c’est une belle leçon d’abnégation.

    Au long de sa carrière, Disiz a beaucoup collaboré. Toi, tu n’as jamais eu envie d’écrire pour les autres ?

    Je l’ai déjà fait, mais j’ai tendance à garder les textes pour moi. KASSESSA, par exemple, c’est une chanson qui pourrait être interprétée par un tas d’artistes, mais elle colle tellement à ma manière d’écrire que je préfère la garder pour moi. Le texte me paraît trop précieux, j’ai envie de l’incarner. Pour tout dire, à chaque fois que je termine une chanson, j’ai l’impression que ce sera la dernière. Alors, autant la garder pour moi !

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