"I Inside The Old Year Dying" de PJ Harvey : retour réussi ou grosse déception ?

Cultivant le retrait jusque dans ses pochettes, dont elle a totalement disparu depuis « Let England Shake » (2011), la Britannique est de retour après sept années d'absence avec « I Inside The Old Year Dying » : un dixième album qui se perd parfois dans des considérations trop énigmatiques et prétentieuses, mais qui parvient tout de même à séduire grâce à cette voix, parfois susurrée, parfois puissante, mais toujours aussi parfaite pour celles et ceux qui ont des larmes à sécher.
  • Le fantasme d'un nouveau départ, l'envie de s'isoler pour mieux se reconstruire, le besoin de se connecter à des mots ou à des émotions pour trouver la paix, on connaît. Oui, mais tout de même : ce n’est pas parce que le sujet est rebattu qu’il n’est plus passionnant. À l’écoute du nouvel album de PJ Harvey, sept ans après « The Hope Six Demolition Project », on aurait même envie d’y croire, de claquer nos Bitcoin pour aller parcourir des paysages vierges de toute présence humaine dans le Dorset, où l’Anglaise vit et où elle a enregistré l’essentiel de ce projet.

    À moins d'être peu réceptif à ces morceaux qui, tout de même, ont ce côté frimeur, du genre : « Regardez comme je suis une artiste, profonde et connectée aux larmes de l’univers ». Cette réaction, on la comprend, tant « I Inside The Old Year Dying » risque de laisser sur la touche les moins sensibles aux complaintes « PJ-Harviennes ». 

    Sur le fond, « I Inside The Old Year Dying » s’appuie ainsi sur une toute autre matière sonore que « The Hope Six Demolition Project », plus sauvage, plus rock, plus musclé, moins intime également. Ce qui est non seulement une bonne nouvelle (après tout, pourquoi se répéter ?), mais également compréhensible quand on sait que PJ Harvey a passée les sept dernières années à travailler sur des musiques de film et de série (Dark River, All About Eve, Bad Sisters), qu'elle a songé à se retirer complètement du circuit musical après une tournée épuisante et qu'elle a pris le temps de prolonger sa passion pour une autre forme d’expression artistique : la poésie. C’est d’ailleurs là l’unique point commun entre « I Inside the Old Year Dying » et son prédécesseur : être basé sur un recueil de douze poèmes, Orlam.

    Les mots, justement, PJ Harvey s’en amuse sur son nouvel album, se réappropriant un dialecte typique du Sud-Ouest de l'Angleterre, ainsi que divers termes que l’on ne comprend pas nécessairement (« Chawly-wist », « clodgy », « giltcup », « reddick »). Peut-être même qu’ils ne signifient pas grand-chose, que seule compte leur résonance, leur mélodicité. À vrai dire, on s’en fiche un peu. Tout ce que l’on retient, après quelques écoutes, c’est la façon dont ils sont incarnés, selon une interprétation maîtrisée et pourtant redevable à une immédiateté dans l'enregistrement des voix assez touchante, ne serait-ce que parce que cette spontanéité contrebalance une instrumention dont l'épaisseur doit beaucoup à la pratique du field recording : ici, des voix d’enfants qui jouent et des lignes électriques qui bourdonnent ; là, des bruits de clôtures heurtées par le vent ou de rivières qui s’écoulent.

    Le problème, c’est que PJ Harvey donne l’impression de se concentrer tellement sur l’instrumentation et la production, pensées aux côtés des fidèles Flood et John Parish, qu’elle semble en oublier par instants de penser à la mélodie. Quelques-unes restent malgré tout en tête. Prayer At The Gate et ses longues incantations rappelant tout ce qu'Olivia Merilahti (The Do) lui doit, le titre éponyme et ses arrangements à la Talk Talk, I Inside The Old I Dying et sa rythmique puisée chez The Smile, ou encore Lwonesome Tonight et ses airs de folk-song conviant dans un même souffle les fantômes d’Elvis et les écrits bibliques.

    Pour les autres, il faudra prendre le temps de les réécouter, de se familiariser avec, apprendre à y projeter d’autres fantasmes. Ou alors, non. Rien n’y oblige. Après tout, PJ Harvey en fait parfois trop (ou pas assez), surjoue l'émotion ou se perd dans des mélodies ronronnantes, peut-être parfois trop apaisées dans le tempo : autant d’éléments qui empêchent « I Inside The Old Year Dying » d'être un très grand disque, mais qui ne masquent ou ne gâchent en aucun cas d'autres intentions, plus touchantes, plus directes, faisant de ce dixième album une étrange et belle tentative d’atteindre cette pureté tant recherchée par la Britannique depuis maintenant 30 ans.

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