2021 M02 4
"Un jour, le photographe Kirk Weddle me passe un coup de fil et me dit en se marrant : hey, tu veux gagner 200 dollars en foutant ton gamin dans l'eau ?". Non, cette phrase n'est pas extraite d'un nouveau documentaire sur l'affaire du petit Gregory, c'est l'histoire derrière le shooting de la pochette de "Nevermind", le deuxième album de Nirvana qui s'est écoulé (sic) en 30 ans à 30 millions d'exemplaires (1 million par an en moyenne, donc). Et l'homme qui parle, c'est le père de Spencer Elden, 4 mois au moment de son plongeon forcé. Quelques mois plus tard, en roulant avec sa femme, il aura cette phrase hilarante sur le sujet : "hey regarde ! Il y a notre bébé sur un panneau d'affichage !".
A l'époque, le père de Spencer fabrique des accessoires et des décors pour les séances photo. C'est ainsi qu'il croisera le chemin de Kirk Weddle, et que le cliché sera immortalisé dans la piscine du Rose Bowl Aquatic Center de Pasadena. L'idée du bébé à poil ? On la doit à Cobain après qu'il ait maté avec Grohl un documentaire à la télé sur les accouchements aquatiques (une scène difficile à imaginer). Au total, 18 images seront produites et la famille Elden, malgré le fait qu'elle n'ait touché que de se quoi se payer un gros McDo, n'en garde que des bons souvenirs. La preuve : en 2015, Spencer prend la pose avec le disque pour ses 25 ans. Et le gros bébé joufflu a bien changé.
Même si les moeurs semblaient à l'époque plus libérées, la photo, dès sa sortie, choque. Ca tombe bien : c'est précisément l'objectif recherché par Kurt Cobain. On se gardera bien de préciser l'importance musicale de l'album pour la génération des années 90 (Smells like teen spirit, Come as you are, Polly, etc), le fait est que la pochette agit comme un manifeste et qu'on a rarement vu aussi bel emballage. Un comble quand on sait que le shooting ne dura que 15 secondes (l'hameçon et le dollar furent rajoutés en post-production).
Aux dernières nouvelles, Spencer, 30 ans en 2021, tente encore de devenir mannequin, artiste et designer. Ca fait beaucoup pour un seul homme, surtout quand votre pénis est parmi les plus célèbres au monde. Lui ne semble pas s'en offusqué. "C’est cool mais bizarre de faire partie de quelque chose de tellement important alors que je ne m’en souviens même pas" expliquait-il voilà quelques années au New York Post. Il ira même jusqu'à reproduire la scène mythique, avec un short de bain cette fois, prolongeant ainsi le mythe pop culture qui entoure cette pochette radicale.
Spencer Elden, the baby on Nirvana's Nevermind, recreates album cover 25 years later. pic.twitter.com/EpvzhtDcvC
— Eric Alper 🎧 (@ThatEricAlper) September 24, 2016
Pensée pour être dérangeante, la cover de "Nevermind" illustre de façon très brutale le consumérisme dans lequel est tombée l'Humanité. Rien de tout ça pour Spencer qui, pour le coup, n'a jamais courru après les biffetons. Il en ira de même pour Nirvana qui, dépassé par son succès planétaire, se brisera trois ans plus tard après le suicide de Cobain.
On notera au passage que le label (Geffen) lutta pour masquer les parties génitales de Spencer, contre l'avis du groupe. Un compromis fut trouvé avec, selon la légende, un sticker apposé sur le phallus et mentionnant "Si vous êtes offensé par ça, vous devez être un sacré pédophile''. Ce qui est certain, c'est qu'à l'heure de Facebook et autres censures des algorithmes, pas sûr que la même pochette serait encore imaginable aujourd'hui.
Le plus drôle dans cette histoire ? Les parents de Spencer Elden n'avaient jamais entendu parler de Nirvana au moment du shooting. Quant au fils, il avoue préféré les Clash. Bon, après tout, nevermind...