De Sofiane Pamart à Hania Rani, l'incroyable succès de la scène néo-classique

Des salles remplies partout en Europe, des compositions qui séduisent jusqu’au cinéma, des albums qui font écho au besoin d’accalmie d’une époque franchement intense : Hania Rani, Eydis Evensen, Ólafur Arnalds ou Christian Löffler représentent avec élégance le renouveau d’une scène néo-classique, dont les mélodies, aussi minimalistes soient-elles, charrient mille images dans la tête de chacun. Et si c'était ça le secret de leur réussite ? En partie, oui.
  • Le samedi 21 octobre dernier, à l'Ancienne Belgique de Bruxelles, il fallait voir cette foule se presser pour assister au concert de Gondwana Records, ce label de Manchester venu présenter ses plus beaux faiseurs de mélodies : Matthew Halsall (le boss de la structure), Jasmire Myra, Svaneborg Kardyb ou encore la fascinante Hania Rani. Une semaine plus tard, à l'Aéronef de Lille cette fois, cette dernière provoquait le même engouement au sein d'une salle remplie à ras bord, entièrement acquise à sa cause, prête à se plonger dans le silence le plus complet afin de profiter au mieux de ces mélodies de peu, qui privilégient systématiquement la soustraction, la retenue, où les motifs de piano se mêlent à des éléments électroniques.

    Pour comprendre un tel enthousiasme autour d'artistes tels que Hania Rani, Ólafur Arnalds, Jóhann Jóhannsson, Eydis Evensen ou encore Christian Löffler, il serait tentant d'évoquer un besoin d’accalmie. Au sein d’une période aux idées simples qui frappent fort, aux discours outranciers et au storytelling omniprésent, le silence fait en effet figure d’« antidépresseur naturel » - du moins, selon le chercheur Michel Le Van Quyen, auteur de Cerveau et silence, dont le propos prolonge les préoccupations des français : en 2016, une enquête Ifop affirmaient en effet que, pour 9 personnes sur 10, le bruit est clairement devenu un enjeu de société.

    Au brouhaha permanent, ces artistes, qui intègrent les synthés et les drums dans l'équation mélodique du classique, proposeraient donc une sortie de secours, dans la droite lignée des travaux entamés au croisement des années 2000/2010 par des compositeurs aujourd’hui célébrés : Nils Frahm, Max Richter ou même Ólafur Arnalds, dont le dernier album en date, sorti en 2020, se nomme précisément « Some Kind Of Peace ».

    À l'instar de quelques grands noms de la musique néo-classique (Ludovico Einaud, Arvo Pärt, Rami Khalifé et l’indépassable Brian Eno, dont les classiques minimalistes viennent d’être revisités par le pianiste américain Bruce Bubaker), cette nouvelle génération, qui bénéfice peut-être aussi de l'aura d'Agnès Obel, revendique fièrement l'influence des éléments naturels au sein de leur processus de création : Luka d'Hania Rani contient quelques sons puisés dans les montagnes d'Islande, Christian Loffler vit au beau milieu de la nature allemande, Ólafur Arnalds dit puiser l'inspiration dans des territoires vidés de toute présence humaine, etc.

    Au fond, cela n’a rien de nouveau : depuis que la musique existe, la plupart des compositeurs ont toujours voulu se réfugier dans la nature, près de la mer, de la montagne, de la campagne, parfois les trois en même temps. Cette génération, rassemblée autour de l’esthétique « néo-classique contemporaine », propose donc une énième variation sur le même thème, persuadée que la musique est un prétexte pour poser un décor et une ambiance, qu’il est possible de toucher le cœur d’un large public via des mélodies ralenties, tout à fait différentes des productions actuellement en vogue au sein des charts internationaux.

    L'évident succès rencontré par ces artistes doit également au cinéma, forcément réceptif à ces mélodies qui encouragent le silence entre chaque note, les étirant, quitte à provoquer ce que Frédérick Rapilly nomme « l'art de l'effacement » dans son bouquin dédié à Mark Hollis - réelle influence de cette scène, tant le leader de Talk Talk a fait du mutisme et de l'épure une esthétique en soi, optant pour des grammaires musicales plus lentes, plus patientes.

    Si les compositions des artistes évoqués jusqu’alors semblent privilégier le retrait, la disparition, elles sont paradoxalement partout. Sur grand écran, notamment : au hasard des dix dernières années, on retrouve leur trace dans Hunger Games et Taken 3 (pour Ólafur Arnalds), Ad Astra et The Leftovers (pour Max Richter), Monos ou Jackie (pour Mica Levi). Si on ajoute à ces noms, déjà séduisants, ceux de Ryūichi Sakamoto et Jonny Greenwood, on comprend que le cinéma a permis à ces partitions atmosphériques de toucher une audience plus large, régulièrement séduite par la puissance des images qu'elles suggèrent. À titre d'exemple, rappelons que Mica Levi a remporté de nombreux prix pour les BO d'Under The Skin et Jackie, tandis que Max Richter comptabilise 13 récompenses.

    En France, un même enthousiasme se fait sentir. Le podcast de la Maison de la Musique Contemporaine (Contemporaine) en est une preuve. Le succès de Sofiane Pamart en est une autre, ce dernier étant devenu l'un des 10 artistes de musique classique les plus streamés au monde. Il y a un an, non content de multiplier les collaborations prestigieuses avec différents rappeurs (Vald, Josman, Laylow, la liste est longue...), le Lillois devenait même le premier pianiste soliste à remplir l'Accor Arena à Paris. En attendant la reconnaissance internationale ? Son dernier album, « Noche », confirme en tout cas ce que l’on savait : le monde du classique est désormais bien trop petit pour lui, comme pour les autres.

    Crédits photo : Facebook officiel de Sofiane Pamart.

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