2023 M02 20
Il est des morceaux dont on sait dès les premières notes qu'ils vont rentrer dans l'histoire de la pop française. La Grenade fait partie des très rares élus de cette catégorie. Car avant ses paroles qui en font un titre emblématique de la révolution féministe des années 2010, il y a ce kick de batterie et cette ligne de basse outrageusement mis en avant, capables de faire taper du pied n'importe qui, de 7 à 77 ans.
Et si le documentaire rappelle que la version connue aujourd'hui doit une fière chandelle au travail de producteur de Yuksek, on y entend aussi la version d'origine exécutée par Clara Luciani en guitare-voix. Et une évidence s'impose : comme toutes les grandes chansons, La Grenade reste grande quels que soient ses arrangements.
"Grande", c'est sans doute l'adjectif que Clara Luciani a le plus entendu pour la qualifier pendant des années, en raison des 182 centimètres qu'elle affiche sous la toise. On le sait, cette particularité physique a longtemps hanté la native de Martigues, et le film y consacre bien sûr de longues minutes, car on ne peut pas comprendre le succès de Clara Luciani auprès du grand public sans comprendre comment elle a transformé ses complexes en force.
Au fil de ses interventions dans Ça commence comme ça, on comprend pourtant que malgré l'adoration qu'elle suscite aujourd'hui, Clara Luciani a toujours du mal à s'accepter physiquement et se trouver légitime artistiquement. C'est une des conséquences du harcèlement dont elle a été victime à l'école et qui laisse comme elle le dit des séquelles à vie quand il s'agit de prendre une photo ou de se regarder dans le miroir.
C'est peut-être là aussi qu'il faut trouver l'origine de son émotivité, dont elle ne se cache jamais dans le film, après un concert qu'elle juge raté ou lorsqu'elle évoque le souvenir du grand-père dont elle était très proche et à qui elle rend un hommage touchant.
Dans ses chansons, comme dans ses interviews dans le doc, Clara Luciani est toujours à fleur de peau, et Ça commence comme ça n'en est que plus intéressant. La sincérité de ses interviews est d'ailleurs assez désarmante pour une artiste qui n'a sans doute pas encore conscience de l'envergure qui est la sienne aujourd'hui.
Il faut dire que l'ascension a été fulgurante, et en multipliant les allers-retours dans le temps, le film n'en rate aucune étape. La plus fascinante est sans doute celle de sa collaboration avec La Femme. Nous sommes au début des années 2010, et deux des futurs artistes les plus importants de la scène française actuelle se rencontrent par hasard.
Le film en retrace la genèse : Clara Luciani est repérée par La Femme à un festival, et quelques années plus tard, la voilà sur le plateau du Grand Journal de CANAL+ à chanter le monstrueux Sur La Planche pour la promo du premier album du groupe, "Psycho Tropical Berlin" (2013). On sent que La Femme va devenir énorme, mais Clara Luciani est déjà à l'étroit dans ce rôle d'interprète et va devenir encore plus énorme en écrivant ses propres chansons.
Entre temps, Clara Luciani a quitté sa région natale du jour au lendemain pour suivre le groupe à Paris, où elle fait l'expérience de la vie d'artiste fauchée, enchaînant les petits boulots en journée pour jouer dans des petites salles clairsemées le soir.
Le documentaire y revient évidemment : l'éloge du travail musical et de la persévérance de Clara Luciani ne peuvent que forcer le respect, surtout quand le montage alterne avec des scènes de décembre 2022 où elle se prépare à remplir pour la première fois Bercy après avoir triomphé aux Victoires de la musique en février de la même année (meilleur album et artiste féminine).
Une apothéose idéale pour le toujours très casse-gueule deuxième album ("Cœur", 2021), dont l'enregistrement fournit sans doute les meilleures séquences du documentaire. Il est en effet difficile de bouder son plaisir devant ces longues minutes passées au milieu des mythiques Studios Ferber de Paris, où l'on assiste au processus de création parfois laborieux des tubes que Clara Luciani imagine avec l'indispensable Sage (Ambroise Willaume), qui l'accompagne depuis ses débuts.
Avec une modestie sincère, la nouvelle reine de la pop française rend d'ailleurs un hommage appuyé à tout son entourage qu'elle juge déterminant dans sa réussite, en commençant par son grand-père (on l'a déjà dit), sa mère aide-soignante – un modèle que l'on devine à l'origine de son engagement féministe – et son père, avec qui elle partage une sa colonne vertébrale musicale beaucoup plus rock que chanson française.
En introduction du film, Clara Luciani déclare : « Ce qui me plairait, c’est que ce documentaire donne de l’espoir, qu’on se dise : c’était pas gagné pour elle mais elle l’a fait, du coup nous aussi on peut le faire. »
La mission n'est pas accomplie par Ça commence comme ça, et ce pour une raison simple : tout le monde ne s'achète pas une guitare ado pour imiter Chrissie Hynde des Pretenders, tout le monde n'a pas des références aussi impeccables que Jacques Demy, Jacques Dutronc, Lee Hazlewood et Nancy Sinatra, et tout le monde ne peut pas composer un morceau comme La Grenade.
Si ce film prouve bien une chose, c'est que Clara Luciani n'est pas grande que par la taille, et si elle ne se l'admettra peut-être jamais elle-même, nous sommes là pour le dire pour elle. Voilà qui méritait bien un documentaire de 90 minutes, et tout le monde ne peut pas en dire autant non plus.
Ca commence comme ça, un documentaire disponible sur Prime Video.