Qui est Father John Misty, l'éternel agitateur du folk américain ?

Signé sur le même label que Beach House (Bella Union), ex-membre des Fleet Foxes, repris par Lana Del Rey et collaborateur de Beyoncé ou Kid Cudi : aussi séduisantes soient-elles, ces quatre informations disent peu du parcours de ce songwriter américain, et encore moins de sa musique. À l’image de son séduisant cinquième album, « Chloë and the Next 20th Century », dont l'exubérance pop est autant redevable à des arrangements sophistiqués qu'à un récit profondément marqué par le mythe hollywoodien.
  • Les gens qui ont l'air conditionné, menant leur vie pépère, ont besoin de quelqu'un à qui s'identifier, et il est certain que ça ne peut pas être Josh Tillman. Tout, chez lui, paraît bien trop fou, imprévisible, en rupture avec les conventions et cette volonté de mener un quotidien bien rangé. Élevé au sein d'une famille chrétienne évangélique, l'Américain a d'abord rêvé d'être pasteur, attiré par le côté performance d'une telle profession, avant de se sentir culturellement oppressé par l'héritage de ses parents et de s'ouvrir, à 17 ans, à diverses musiques profanes, notamment celles composées par Bob Dylan lors de sa période chrétienne (« Slow Train Coming »).

    En 2002, Josh Tillman a 21 ans : il vient de déménager à Seattle, travaille dans une boulangerie, enregistre ses chansons avant le début de son service et séduit jusqu'aux oreilles de Damien Jurado, dont il assure les premières parties. Le début de la reconnaissance ? La suite des années 2000 souligne à l'inverse le parcours typique d'un artiste condamné à la face B du rêve américain : une signature sur un label indépendant (Fargo), des albums ignorés du grand public et diverses collaborations avec d'autres musiciens pour tenter de ressembler à autre chose qu'à un hippie végétant dans les marges de l'industrie.

    L'une d'entre elle s'avère particulièrement féconde : en 2008, Josh Tillman rencontre les membres des Fleet Foxes et participe à leurs côtés à un renouvellement de la folk, très pure, très mélodique, et dont le look habille désormais les rayons des boutiques branchées types Urban Outfitters. Sauf qu'on l'a dit : l'Américain est trop instable pour se contenter d'un projet, d'autant plus quand il y est cantonné à la batterie. Après « Helplessness Blues » (2011), le bonhomme s'installe sur les hauteurs du Laurel Canyon et devient Father John Misty, un pseudonyme qui lui permet toutes les extravagances, comme d'enregistrer un premier album qui parle de punaises de lit, d'animaux, de personnages farfelus et de champignons hallucinogènes (« Fear Fun », 2012).

    Father John Misty n'en a pas pour autant fini avec les collaborations : proche d'Har Mar Superstar et Jonathan Wilson, avec qui il partage une même passion pour la folk noire, taillé dans le mythe des livres de la Beat Generation, le crooner a depuis prêté ses services à Beyoncé, Lady Gaga, Kid Cudi ou encore Post Malone. Ce qui ne l'empêche pas, à l'occasion, d'envoyer des coups de canif dans le dos de l'entertainment américain, voire d'attaquer de front la politique du pays. Sur Bored In The USA, par exemple, il se moque des affres de la classe moyenne, tandis qu'il s'en prend directement à l'ancien président des États-Unis avec Trump’s Private Pilot et que le clip de Things It Would Have Been Helpful To Know Before The Revolution suit le destin d'un personnage moribond, qui ramasse des iPhone dans les poches des cadavres.

    Le rêve américain, c'est ce qui semble obséder Father John Misty. Son dernier album, « Chloe And The Next 20th Century », en atteste : écouter ce disque, c’est s’imaginer être projeté à Hollywood, au cœur du Château Marmont, avant de partir en virée romantique à bord d’une décapotable en écoutant les plus belles mélodies de Bowie et des Beatles. Pour son cinquième album, dont l’un des singles a déjà été repris par Lana Del Rey (Buddy’s Rendezvous), le songwriter creuse inlassablement le même sillon (rappelons qu'il chantait déjà « Une Cadillac suffira pour nous amener là où nous allons… » en 2015), mais avance toujours avec le même esprit fou, porté ici des orchestrations dignes des années 1930, des arrangements imprégnés par l’ambiance de l’époque et des textes qui s’abandonnent à la romance.

    Tant mieux : c’est justement quand elle est à fleur de peau, perdue dans les affres d'un amour digne d'un film hollywoodien, offerte à des déluges de cordes que la pop, tantôt exubérante, tantôt baroque, de Father John Misty suscite les plus beaux vertiges.

    « Chloe And The Next 20th Century » sort vendredi 8 avril (Bella Union/[PIAS]).