2022 M04 23
« Stefania maman, maman Stefania/Le champ fleurit, ta chevelure devient grise/Chante moi une berceuse maman/Je veux toujours entendre le son de ta voix. » Ces paroles, chantées exclusivement en ukrainien, sont issues de la chanson Stefania. Un morceau de rap dans lequel on peut distinguer plusieurs instruments folkloriques slaves. Les membres du Kalush Orchestra l’ont choisi pour représenter leur pays à l’Eurovision, qui se déroulera le 14 mai à Turin.
Si de prime abord les six hommes qui composent le groupe semblent chanter les louanges de leur mère respective, dans le contexte actuel, cette « Stefania » devient beaucoup plus universelle. C’est ce qu’a expliqué le leader de la formation, Oleg Psyuk — reconnaissable grâce à son bob rose qu’il ne quitte jamais — lors d’une interview accordée à 20 Minutes : « Au départ, je l’ai écrite et dédiée à ma mère, qui s’appelle Stefania. Depuis la guerre, elle prend un autre sens pour les Ukrainiens. Certains pensent à la Mère patrie, d’autres à leur maman qui leur manque. C’est une chanson qui parle de près au cœur de mes compatriotes. »
Au vu de la situation entre l’Ukraine et la Russie, difficile de ne pas accorder un crédit politique à ce que propose le Kalush Orchestra. Déjà, puisqu’à la différence de leurs concitoyens restés se battre, ils ont reçu une autorisation spéciale de l’État pour quitter le territoire et prendre part aux concerts organisés avant l’Eurovision. Avec cette tournée promotionnelle qui les balade de ville en ville et qui attire un nombre conséquent de médias, le rappeur et son équipe se sont imposés en porte-voix patriote.
Devant cette énorme audience, le Kalush Orchestra répète à tue-tête le même message au gré de ses voyages. Toujours dans les colonnes de 20 Minutes, Oleg Psyuk le résume ainsi : « Nous voulons encourager tout le monde à nous aider à faire cesser la guerre le plus vite possible. Plus les gens s’exprimeront, plus ils motiveront leurs décideurs à agir, plus vite la guerre prendra fin. » À leurs prises de paroles régulières, les rappeurs ont joint les actes.
Après s’être récemment rendus à Tel-Aviv, puis à Jérusalem où le groupe a donné une courte représentation devant un public composé de jeunes réfugiés ukrainiens, ils se sont envolés à Amsterdam. Là-bas, durant le show Eurovision in Concert, les rappeurs ont interprété Stefania, face à une audience venue de l'ensemble du vieux continent. Pendant leur passage, en fond de scène, on pouvait voir un QR Code. En le scannant, vous étiez redirigé vers un site mis en place pour récolter des dons en faveur de l’Ukraine.
Une technique originale, qui s’inscrit dans un travail de plus longue haleine. Dès le début des combats déclenchés le 24 février, Oleg Psyuk a créé une organisation dont le but est de collecter puis distribuer des vivres, des médicaments ainsi que des vêtements aux personnes dans le besoin. Le rappeur au bob rose avoue à 20 Minutes que « les musiciens ukrainiens sont très unis, très actifs », et que chacun, à sa façon, apporte une pierre à l’édifice.
Avec tous ces éléments, une sorte d’affection générale a entouré ce jeune collectif qui a vu le jour en 2019. À l’origine, le groupe s’appelait Kalush, une référence à la ville du même nom, d’où est originaire Oleg Psyuk, créateur du band. C’est d’abord sous ce pseudo qu’ils se sont fait connaître, notamment avec la sortie d’un premier clip, Ne marynui, paru en octobre de cette même année. Puis d’un deuxième, Ty honish, qui leur a permis de signer avec le label américain Def Jam Recordings.
Identifiés dans le paysage musical, ils lancent en février 2021 « HOTIN », leur tout premier album. Dès juillet, ils enchaînent avec un deuxième disque, « JO-JO », enregistré cette fois avec un autre rimeur du pays, Skofka. Toujours en 2021, Kalush évolue et devient le Kalush Orchestra. Avec 3 nouveaux membres en plus, le projet de base très orienté rap prend une dimension plus traditionnelle, notamment via l’ajout d’instruments typiques du folklore slave.
Maintenant que leur notoriété a largement dépassé les frontières de leur pays et qu’ils ont validé leur participation à l’Eurovision, les membres du Kalush Orchestra sont même devenus les favoris de cette édition 2022. Le site eurovisionworld.com, qui fait la synthèse des paris organisés dans le monde, les donne vainqueurs avec 34 % de chances de l’emporter — en comparaison, la France obtient un joli 1 %. Une vraie bonne nouvelle pour ce groupe qui ne prend absolument pas le concours par-dessus la jambe. Comme Oleg Psyuk le confie à 20 Minutes : « Toute victoire est bonne pour l’Ukraine ».
Par contre, en cas de victoire du Kalush Orchestra, une décision délicate s’imposerait. Chaque année, c’est le vainqueur de l’édition précédente qui est chargé d’organiser la suivante. Alors, en 2023, l’Ukraine serait-elle capable d’honorer cette condition ? Personne ne le sait, et finalement, la vraie question n’est pas là. Il serait plus judicieux de se demander ce que le collectif mijote pour son passage à Turin, qui sera retransmis en direct. Car rappelons-le : ce concours est l’émission télévisée la plus regardée au monde, avec près de 200 millions de spectateurs chaque année dans 36 pays.
Crédit photo en une : @YouTube Music