Entre Céline Dion, Donna Summer et Dalida, il y a Lisa LeBlanc

Encore inconnue de ce côté de l’Atlantique, la Canadienne Lisa LeBlanc pourrait bien enfin percer sur le sol français avec « Chiac Disco », un incroyable quatrième album à côté duquel tous les récents revivals mi boogie mi woogie font pâle figure. Au point qu’on rêve déjà d’un featuring entre Katerine et cette drôle de boule à mille facettes.
  • « Si ça te tentes d'avoir un background disco pi funk ben greillé de chiac quand tu fais ton ménage, du skydiving […] c'est l'album pour toi ! », « C'est comme out of this world de vous retrouver pi mon tcheur est rempli! », « Avec Belinda, soudainement je chiais des tounes! On a pris le keyboard, on a fait des affaires nounounes, on a ri! ».

    Pour le Français lambda, décrypter les propos de Lisa LeBlanc s’apparente presque à une mission impossible. On mettra de côté les vieilles blagues (un peu racistes) sur l’accent de nos cousins canadiens ; le fait est que la musicienne est Acadienne et que cela s’entend fortement dans « Chiac Disco », cet incroyable album publié en mars et qui aurait aussi bien pu influencer Clara Luciani que Juliette Armanet, toutes deux de retour avec des disques disco, récemment. Sauf que Lisa LeBlanc, par sa posture, ses paroles et sa double distance (géographique et spirituelle), s’avère nettement plus improbable, drôle et surréaliste que les deux musiciennes précitées.

    Le « chiac », en canadien, c’est un patois à la Jean-Claude Van Damme. Une sorte de mélange étrange entre les mots français, anglais et canadiens, le tout mélangé au shaker sans complexe. Anyway, tout d’un coup on comprend mieux le slang de Lisa LeBlanc, et pourquoi des chansons comme Pourquoi faire aujourd’hui ou Gossip tapent dans le mille comparé aux productions hexagonales tentant péniblement de faire du sous Chic. Car celle qui est née dans un bled de 51 personnes (Rosaireville) a cet avantage suprême sur les Français : elle n’est pas française. Exit donc le cynisme et le premier degré si fatiguant à Paris. Lisa LeBlanc, depuis 10 ans, ose tout : comme par exemple sortir des disques folk en anglais, faire des vidéos de cuisine sur la poutine rapée et même sortir des clips déguisée en Belinda, star fictive du bingo plagiant Beth Ditto de Gossip, avec incrustations sur fond vert de castors et de dragons. Difficile d’imaginer quel artiste français éligible aux Victoires de la musique serait capable d’un tel niveau de n’importe quoi.      

    Presque dix ans après avoir gagné le prix France Inter/Télérama du premier album francophone, Lisa LeBlanc revient donc en 2022 pour casser tous les préjugés avec ce quatrième album où si on ne comprend pas tout, on capte l’essentiel. Soit un énorme crush pour la disco des seventies, quand Moroder et Donna Summer étaient les rois du monde avec I feel love, et que Dalida et Sheila tentaient de raccrocher les wagons avec des titres disco. Et contrairement aux apparences, très loin du biopic second degré sur Céline Dion avec Valérie Lemercier dans le rôle principal, c’est tout sauf une blague. Les arrangements façon William Onyeabor donnent une modernité inattendue à ces comptines sur la vie d’après confinement, les clins d’œil se multiplient (comme sur l’intro de Me semble que c’est facile, en écho à celle du Stairway To Heaven de Led Zep) et même un titre comme Veux-tu rentrer dans ma bubble, qui pourrait faire croire à un pastiche de mauvais single d’Afida Turner, rappelle à quel point les Canadiens possèdent ce sens inné du groove ; le même après lequel les Français galopent sans jamais vraiment réussir.

    « J’aime être dans le feu de l’action, que ça bouge et feeler que le monde a du fun » conclue Lisa, dans un Français toujours aussi chelou. Sacré parcours que celui de la musicienne passée du banjo à la disco, et très belle découverte à offrir à celles et ceux qui croient encore que le Canada se résume à Justin Bieber et Robert Charlebois.

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