2023 M11 24
C'est devenu si commun qu'il paraît presque inutile de le préciser, mais les artistes n'ont pas toujours cherché à accompagner la sortie de leur EP par un ou deux remixes. Pour comprendre l'origine de ce phénomène, il faut même remonter à 1976. À l'époque, Salsoul Records souhaite publier la huitième référence de son catalogue. Mieux, le label new-yorkais, créé deux ans plus tôt dans l’idée de produire des tubes à même d’augmenter la température en boîte de nuit, souhaite confier ce single aux DJs avant de le mettre à disposition du grand public.
ll faut dire que le succès du disco permet alors toutes les folies, et que Double Exposure est probablement la formation la plus prometteuse en termes de ventes. La mieux placée, en tout cas, pour prolonger le succès du groupe phare de la maison de disques, Salsoul Orchestra.
Conscient de l'impact toujours plus grand des DJ's sur les ventes, Ken Cayre, directeur de Salsoul Records, souhaite donc innover : plutôt que de simplement produire l'album de Double Exposure (« Ten Percent »), l'Américain a la bonne idée de promouvoir le disque à l'aide d'un maxi 45-tours du même nom. Ne lui manque plus qu'à trouver quelqu'un pour assurer le remix de la chanson-titre, un musicien suffisamment rodé à l'exercice pour faire de cette nouvelle production un succès national. Ce sera le DJ Walter Gibbons qui, à défaut d'avoir des talents de producteur, séduit grâce à « ses talents d'innovateur, sa ponctualité et son sérieux ».
Pour sa technique également, tant celle-ci semble alors particulière, et consiste à prendre deux disques et à les travailler dans les deux sens afin de prolonger les breaks de batterie, et donc le rythme de la mélodie. Paraîtrait même que cela impressionnait les DJ's de l'époque, même si un gars comme Kool Herc faisait déjà peu ou prou la même chose.
Pour tester le remix de Ten Percent, passée de quatre minutes à près de dix minutes en « forme de montagnes russes », Walter Gibbons choisit logiquement un club où il a ses habitudes en tant que DJ, le Galaxy 21, situé dans le quartier de Chelsea à Manhattan. « Ça sonnait tellement nouveau, avec tout un tas d'allers-retours. On avait l'impression que ça n'allait jamais s'arrêter. La piste de danse a fini par exploser », raconte un témoin dans Love Saves the Day: A History of American Dance Music Culture, 1970-1979, tandis que le New York Times, en 2005, parle de Ten Percent comme du morceau qui annonce « l'essor des remixeurs » et des DJ's.
Seule certitude : Ten Percent est le premier maxi 45-tours à avoir été commercialisé, et est probablement le morceau qui a posé les fondations du remix disco tel qu'on le connaît aujourd'hui, celui qui a contribué à propulser ce genre musical pailleté vers le sommet des charts. Malheureusement, comme tant d'autres pionniers, et malgré une honorable 54ème position au Billboard Hot 100, Walter Gibbons fait aujourd'hui partie des oubliés de la grande histoire.