Comment Miley Cyrus est devenue l'une des rares rockstars de sa génération

Précédée par un unique single – Flowers – qui a tout emporté sur son passage depuis deux mois, la sortie du huitième album de la popstar, "Endless Summer Vacation", était l'une des plus attendues de ce début d'année. Il marque l'entrée de Miley Cyrus dans la trentaine, et c'est aussi l'occasion de revenir sur toutes les transformations de celle dont la carrière musicale dure déjà depuis plus de 15 ans.
  • "New Year, New Miley." En annonçant par ces mots son nouvel album en fin d'année dernière, Miley Cyrus ne faisait que rappeler une évidence. Héritière directe de David Bowie et Madonna, l'artiste américaine est une professionnelle de la réinvention, et depuis longtemps maintenant, chacun de ses albums est l'occasion de l'entendre s'aventurer – avec plus ou moins de réussite certes – dans de nouvelles contrées musicales.

    Bien sûr, il était difficile d'imaginer cette dimension caméléon quand Miley Cyrus est apparue en enfant chérie de Disney au mitan des années 2000 dans la série Hannah Montana, avant de sortir deux premiers albums de gentille pop adolescente en 2007-2008. Mais derrière son image très sage, le volcan commence déjà à gronder. En 2008, Vanity Fair publie des clichés très gênants où une Miley Cyrus âgée de seulement 15 ans semble avoir posé topless devant l'objectif d'Annie Leibovitz.

    L'année suivante, la jeune star commence à donner de sérieuses sueurs froides à Disney en donnant l'impression de s'essayer au pole dance sur le très consensuel Party in the USA lors des Teen Choice Awards.

    La transition vers la deuxième vie de Miley Cyrus est en marche : en 2010, le titre de son troisième album ("Can't Be Tamed") annonce clairement la couleur : elle ne veut plus être contrôlée par personne. Mais malgré son look de plus en plus adulte, notamment dans ses clips, elle ne peut pas encore assumer, puisqu'elle doit se défendre publiquement d'avoir embrassé l'une de ses danseuses lors d'une prestation à la télévision britannique.

    Et pourtant, par rapport à ce qui arrive, le monde n'a alors encore rien vu. Tout le monde ou presque se souvient du moment où Miley Cyrus a vraiment changé de dimension. C'était en 2013, il y a 10 ans déjà.

    Après un crochet par le cinéma, elle revient métamorphosée avec une coupe pixie et une teinture blonde, puis carrément un sidecut dans le clip de We Can't Stop, single de retour où elle sidère l'Amérique puritaine en twerkant, en simulant diverses pratiques sexuelles et en évoquant grosso modo l'idée de festoyer en utilisant quelques substances illicites.

    Au cours de l'été 2013, Miley Cyrus fait ensuite littéralement exploser Internet avec sa performance aux MTV Video Music Awards. Vêtue d'un ensemble de sous-vêtements en latex et d'une main géante en mousse, elle fait mine de se masturber avec avant de carrément attraper l'entrejambe de Robin Thicke sur Blurred Lines.

    Et puis l'apothéose : un twerk collé à son partenaire en tirant la langue avec un énorme sourire. Miley Cyrus vient de tuer définitivement Hannah Montana en direct, et toute l'Amérique – parents, médias – se déchaîne contre ce scandale national. Mais l'entreprise de démolition n'est pas encore terminée.

    Début septembre 2013, Miley Cyrus utilise donc le clip de son single Wrecking Ball pour détruire une bonne fois pour toutes le carcan Disney. Assise en tenue très légère puis entièrement nue sur… une boule de démolition sur laquelle elle se balance, elle y lèche aussi de façon très explicite une masse (1 milliard de vues tout de même).

    Cet enchaînement d'immenses doigts d'honneur symboliques est l'un des moments les plus importants de la pop culture des années 2010. Miley Cyrus prend son indépendance avec ce "Bangerz" (2013) qui est alors de loin son meilleur album, grâce notamment à la présence de Mike Will Made It et de Pharrell Williams à la production. Et elle s'affirme comme une sorte d'artiste punk des temps modernes, qui fait ce qu'elle veut et refuse d'avoir honte de ses actes alors que la société voudrait la slutshamer.

    Cette liberté nouvelle trouve un prolongement logique avec son album suivant, "Miley Cyrus & Her Dead Petz" (2015) qu'elle sort par surprise du jour au lendemain en streaming gratuit, sans l'aide de son label, et qui rend hommage comme son nom l'indique à ses animaux morts – l'artiste est une défenseuse importante de la cause animale.

    En collaboration avec les Flaming Lips, grand habitués du grand n'importe quoi, Miley Cyrus sort 92 minutes d'expérimentations psychédéliques aussi improbables qu'imbitables. Et les folies continuent dans ses clips – le cannabis et le bukkake à paillettes du clip de Dooo It! où les commentaires ont dû être désactivés – et surtout dans la tournée qui suit, où elle enchaîne les déguisements totalement WTF, dont une sorte de tenue SM comportant un gode-ceinture géant et des faux seins – l'image vaut le détour – après avoir embrassé par surprise Katy Perry en live en 2014 (ce qu'elle n'a pas attendu pour faire son coming-out queer).

    Difficile d'aller plus loin. Et Miley Cyrus l'a bien compris en revenant à un style nettement plus épuré par la suite à partir de "Younger Now" (2017), qui retourne aux racines country de son père artiste (Billy Ray Cyrus) et du Tennessee où elle est née.

    Musicalement, la fille de ce dernier commence à vraiment toucher à tout puisqu'elle s'aventure dans la trap avec l'EP "She Is Coming" avant d'opérer un virage assez jouissif vers le rock en 2019.

    Cette année-là, Miley Cyrus commence à utiliser sa voix remarquablement puissante pour s'essayer à des reprises de toutes sortes de vieux standards du rock – voir son set à Glastonbury – et le résultat est quasiment parfait à chaque fois. De quoi motiver la sortie de ce qui est sans doute son meilleur album "Plastic Hearts" (2020), disque glam rock où elle reprend avec succès le flambeau de Joan Jett et Stevie Nicks.

    Mais depuis, la vie de Miley Cyrus a été marquée par sa séparation avec Liam Hemsworth, après une relation mouvementée d'une dizaine d'années – l'acteur australien était déjà à l'origine du chagrin d'amour de Wrecking Ball en 2013. Et la voilà donc qui revient avec un album de rupture synthétique qui est aussi une déclaration d'amour à Los Angeles.

    Comme son titre l'indique, "Endless Summer Vacation" a probablement été pensé pour devenir l'album de l'été, et ses deux premiers singles constituent de sérieux atouts pour y parvenir.

    Revenge song au succès déjà retentissant – le plus important de la carrière de Miley Cyrus, Flowers célèbre l'amour de soi sur une ligne rythmique disco-funk redoutable avec des cordes pas inefficaces non plus. Et la version démo publiée ces jours-ci où le seul instrument entendu en plus de la voix est un Fender Rhodes confirme qu'il ne s'agit pas d'un tube comme les autres.

    De son côté, River résume jusqu'à l'excès l'ambiance synth-pop très 80's d'une bonne partie de l'album, empruntant lourdement au You Spin Me Round de Dead or Alive sans produire forcément le même effet. Mais avec ses paroles salaces toujours parfaitement assumées et sa voix rocailleuse, Miley Cyrus peut faire céder à peu près n'importe qui après quelques écoutes.

    On peut en dire autant de toute la face B de l'album – qui correspond à sa partie nocturne festive selon l'artiste –, notamment de Violet Chemistry, qui a aussi des allures de tube en puissance grâce notamment à ses synthés signés James Blake. Le refrain de Wildcard rappelle quant à lui que la palette vocale de Miley Cyrus a le superpouvoir de briser tous les cœurs du monde, et on peut en dire autant de la jolie ballade piano-voix qui clôt l'album et rend hommage à sa grand-mère récemment décédée, Wonder Woman.

    Ailleurs, "Endless Summer Vacation" navigue avec beaucoup de coolitude dans une vision fantasmée du ciel bleu et des palmiers de L.A. (Island et le bordélique Handstand, dû en partie à Harmony Korine) quand Miley Cyrus ne revient pas à la ballade rock (Jaded), au psychédélisme bon teint (Rose Colored Lenses) voire à la country moderne (Thousand Miles avec Brandi Carlile) pour évoquer sa relation défunte dans la face A de l'album, qui correspond au matin et a des allures de gueule de bois pas désagréable.

    Une impression que l'on doit principalement au duo de producteurs Kid Harpoon et Tyler Johnson – le "Harry's House" de Harry Styles l'an dernier, c'est eux – qui donnent un vernis très pop rétro de notre époque à l'album, et permettent à Miley Cyrus de sortir peut-être le premier album synthèse de toutes les aventures stylistiques de sa carrière.

    Après tant de réinventions très commentées, l'ex enfant terrible de Disney semble prête à enfiler cette fois le costume de star plus traditionnelle de la pop. Un effet de la trentaine ? Peut-être, mais espérons qu'elle ne perdra pas sur la route des "vacances d'été sans fin" le grain de folie qui a toujours fait sa différence par rapport à ses concurrentes plus aseptisées.

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