2022 M12 12
À l'évidence, tout le monde l'aime. Pitchfork est dithyrambique, Rolling Stone estime qu'il « n'y a aucun faux pas », tandis que le Guardian précise que « la qualité est au rendez-vous à chaque titre ». Quant aux chiffres, ils sont formels : 300 000 exemplaires de « SOS » devraient s'écouler en premier semaine, là où « CTRL », son premier album, ne s'était vendu qu'à 30 000 copies en sept jours (avant de tutoyer les 3 millions de ventes).
Alors que l'on se demande encore quand Rihanna et Frank Ocean donneront enfin vie à un nouvel album capable de rassembler les publics, il semble que SZA soit la seule à pouvoir s'assoir à la même table que ces deux poids lourds du R&B américain, la seule à faire monter le thermomètre ainsi, sans en faire trop, sans se lancer dans des refrains évidents ou des mélodies tire-larmes.
Hasard ou non, « SOS » porte le même nom qu'une chanson de Riri, sortie en 2006, à une époque où cette dernière affirme son style, trop ambitieuse pour se contenter de simplement assurer les refrains pour d'autres. Si SZA, 33 ans, a elle aussi cette volonté de faire exploser les bulles et les stéréotypes, c'est tout autre chose qui se joue ici : la vulnérabilité, la confusion, la solitude d'une artiste qui craint le rejet en même temps que le trop d'attention, qui se sait mal équipée émotionnellement, qui se dit constamment prête « à éclater en sanglots ».
La pochette de « SOS », inspirée par une photo de la Princesse Diana, prise quelques jours avant sa mort, ne dit pas autre chose : on y voit la membre de Tog Dawg Entertainment (ancienne écurie de Kendrick Lamar) errer seule, au milieu de la mer assise sur le plongeoir d’un yacht. Est-ce là la mise en scène d'un inévitable exil ? Un profond besoin d'isolement ? Toujours est-il que SZA excelle dans ce retranchement, et ce ne sont les apparitions de Travis Scott ou Don Toliver, un peu mollassonnes, qui viendront nuancer le constat.
SZA confirms theory that Princess Diana inspired her ‘SOS’ album cover. pic.twitter.com/61biLn7JXm
— Pop Base (@PopBase) December 7, 2022
Par le passé, l'Américaine a régulièrement évoqué sa fragilité, son manque de recul face à la notoriété, son envie de tout arrêter. On la comprend. C'est même ce qui fascine à l'écoute de « SOS ». Mais il faut croire que SZA n'est pas à un paradoxe près : c'est qu'il en faut de l'envie, de l'insolence et de l'amour pour composer ces 23 morceaux, introspectifs et pourtant prêts à ouvrir de nouvelles perspectives. C'est qu'il faut un évident charisme, ainsi qu'une indéniable confiance en soi, pour donner vie à des morceaux aussi bestiaux (Shirt), féministes ou revanchards : non, le fait qu'un titre soit nommé Kill Bill n'a rien d'une simple coïncidence.
Sur le fond, les motifs sont connus. On pourrait même cocher consciencieusement les cases de l'« album R&B » : les refrains sensuels, les voix trainantes, la production languide et, surtout, pas mal d'illusions romantiques. Sans compter une accumulation de titres qui, parfois, viennent surcharger le propos, brouiller la cohérence : à croire que SZA a souhaité capter chacune de ses idées, de peur que « SOS » ne soit réellement son dernier album. Sauf que deuxième long-format n'est pas simplement beau, ou fidèle à des dogmes bien établis.
C'est un disque puissant, existentialiste, totalement vertigineux dans sa façon d'alterner les points de vue et de varier les tonalités : entre rock alternatif (F2F), mélodies lo-fi (Special), tonalités 80's (I Hate U), minimalisme (Snooze), rondeurs pop (Nobody Gets Me) ou merveilleux condensé de toutes ces intentions (formidable Ghost In The Machine), les idées fusent et peuvent s'avérer épuisantes lorsqu'elles sont écoutées d'une traite. Sans jamais pourtant parvenir à nuire l’écoute de ce deuxième album, pensé comme un exutoire, et donc parfait pour éponger la souffrance et la peine.